Transition écologique, Paquet Fit for 55, Industrie du futur, Thibault de Tersant répond aux enjeux majeurs que traverse le secteur du numérique. L’actuel Senior Executive Vice Président de Dassault Systèmes et administrateur de Numeum éclaire le débat sur le sujets clés de la Tech.
En quoi l’Industrie du futur constitue-t-elle une perspective de renouveau ?
Thibault de Tersant : Il y a bien des façons de caractériser l’Industrie du Futur. Il faut l’appréhender sous trois angles : les nouvelles offres qu’elle permet, les moyens de production et, bien sûr, l’empreinte environnementale. La grande nouveauté en matière d’offres réside dans le fait qu’elles ne se limitent plus à délivrer un produit, mais une expérience d’usage. Cette expérience intègre la participation des clients à la définition du produit, de nouvelles formes de marketing et d’achat. Et surtout une évolution constante du produit, fondée sur l’observation de son usage.
Rien de tout cela n’est possible sans avoir recours au numérique. Il permet de rendre disponibles et d’exploiter au mieux les données. L’activité de production elle-même bénéficie de ces technologies qui en facilitent l’automatisation. Elles rendent les moyens de production plus aptes à être facilement reconfigurés pour s’adapter à de nouvelles productions.
Enfin, l’ambition, ou plutôt ce qu’on devrait appeler notre devoir collectif, de limiter la hausse de températures à 1,5° impose une expérience de production moins polluante. Mais également une logistique plus locale. Ces perspectives convergent. Elles donnent à la France de nouveaux atouts avec nos compétences pour innover en expérience d’usage. Mais également en exploitation de données, en modélisation et en virtualisation. La France bénéficie aussi d’une fourniture stable d’électricité décarbonée. Ce volet peut donc aider à une réindustrialisation et une exploitation respectueuses de l’environnement.
En quoi est-ce incontournable pour les acteurs de l’écosystème de se rassembler ?
La révolution numérique représente une transformation aussi profonde que l’énergie électrique au XXème siècle. Il est donc essentiel que tous ses acteurs unissent leurs forces pour en faire comprendre les enjeux. Et œuvrer à la création d’un cadre pour que le numérique soit responsable et au service de tous.
Dans ce cadre, le rôle de l’Europe dans l’élaboration de normes qui protègent ses ressortissants et ses entreprises est de plus en plus important. Il est donc normal que Numeum soit présent auprès des instances européennes pour alimenter la réflexion en matière de protection des données, de souveraineté, de droit de la concurrence et de fonctionnement du marché extérieur. Mais aussi en matière de respect de l’environnement, de développement des entreprises du numérique et de fiscalité.
Ainsi, la présidence française de l’Union Européenne arrive à grands pas. Les transitions environnementales et numériques doivent aller de pair. En effet, la puissance des technologies numériques peut et doit être mise au service du respect de l’environnement et de la lutte contre les émissions polluantes. Le numérique lui-même doit faire sa mutation pour limiter ses émissions de CO2. Mais s’il est bien utilisé, il peut apporter une baisse des émissions globales sans commune mesure avec son empreinte environnementale.
Les instruments politiques de l’UE sont-ils les bons pour développer la compétitivité des entreprises ?
Il faut prendre garde à ne pas tout attendre de l’Union Européenne ou des gouvernements nationaux en matière d’innovation ! En revanche, il est essentiel d’obtenir un cadre permettant de développer la recherche fondamentale et de faire bénéficier les entreprises du domaine numérique de cette recherche. Il faut aussi que les subventions européennes à des programmes de recherche appliquée dans les entreprises du numérique puissent accélérer le développement des technologies. Je pense en particulier à l’exploitation des données, la modélisation, ou l’aide au diagnostic qui sont critiques pour que l’Europe prenne toute sa place dans l’économie de l’expérience.
Il faut aussi que les financements nécessaires et une fiscalité juste sans être dissuasive permettent à ces entreprises de grandir tout en restant européennes.
Le paquet Fit for 55 introduit de nouvelles obligations pour quantifier la consommation énergétique des entreprises et des industries. Quelle est votre position ?
Le paquet 55 est ce qu’il est nécessaire de faire pour tenir l’objectif d’un réchauffement limité à 1,5°. En ce sens, même s’il est ambitieux, il représente le bon cap. Toutefois, la suggestion que j’aimerais faire serait de raisonner en termes de bilan entre les émissions réalisées et celles qu’elles permettent d’économiser.
En effet, il ne faudrait pas, en raison d’une règle d’airain, pénaliser des activités qui permettent d’avoir un impact de réduction sur les émissions de gaz à effet de serre. Pour cela, il faut mettre en relation les mesures faites dans le cadre de la Green Taxonomy des entreprises du numérique avec leur empreinte environnementale. Cela permettrait de donner des degrés de liberté aux projets qui ont le plus d’impact favorable sur l’environnement.
Manque-t-on de données sur la consommation énergétique du numérique ?
Le sujet de la consommation énergétique du numérique est important. Il est très présent dans le débat public, ce qui est une bonne chose. Pour autant, il est vrai que cette consommation reste imparfaitement connue en raison de l’absence d’un cadre de reporting standard et qui s’impose à tous. Cette lacune sera toutefois comblée avec l’évolution des obligations d’information de l’URD (Document d’Enregistrement Universel) et des normes IFRS.
La consommation de ressources par les clients fait partie des données dites de « scope 3 ». Elles doivent être rendues publiques par les sociétés cotées. Et sans doute bientôt de manière plus large pour toutes les sociétés qui déposent des comptes en normes IFRS.
Une amélioration des performances énergétiques des logiciels, par exemple, est possible avec une algorithmique rendue plus efficace, et des techniques de codage spécifiques. Les matériels informatiques aussi intègrent des processeurs de plus en plus économes en énergie. Enfin, beaucoup de gains sont possibles en matière de visualisation, d’indexation et de bases de données. Mais au-delà des efforts à faire pour un numérique plus frugal, il faut aussi bien reconnaître ce qu’il peut apporter à ses clients dans une approche « bilancielle ».
Comment Dassault Systèmes accompagne-t-il la croissance du secteur de la Santé ?
Les capteurs permettent un enregistrement des données vitales des patients de plus en plus simple, de moins en moins invasif, et sur des périodes de temps plus longues. Combinés avec un traitement judicieux des données et une expertise médicale, une aide au diagnostic et l’identification des événements caractéristiques enregistrés grâce à des capteurs permet d’améliorer grandement le suivi des patients par les médecins.
Thibault de Tersant : « notre ambition est d’améliorer le parcours de Santé«
Dassault Systèmes est engagé à faire progresser une médecine de précision, adaptée au parcours de santé des patients. Nos solutions logicielles permettent d’aider à la formulation des nouvelles molécules. Tout comme à leur fabrication et aux essais cliniques qui en valident l’efficacité et la sécurité.
La prochaine étape, avec nos partenaires, consiste à améliorer le parcours de santé des patients. Et cela, grâce à la puissance de la virtualisation. Cela permet de simuler l’effet d’une molécule ou d’une opération sur un organisme malade. Cette aventure d’une représentation fidèle du patient dans le monde virtuel nous motive particulièrement. C’est ainsi que nous avons, par exemple, créé un modèle virtuel du cœur. Nous poursuivons actuellement la même démarche pour créer un modèle du cerveau.
Merci à vous, Thibault de Tersant.
Olivier Robillart