Tous les éléments convergent vers un même point. La manière dont les professionnels et le public utiliseront la santé inclura de plus en plus d’éléments numériques. Un mouvement majeur sous-tendu par le fait que la santé populationnelle préfigurera les organisations de demain. Ce paradigme signifie qu’une attention toute particulière sera portée sur la prévention des maladies. Alors que le numérique deviendra incontournable en devenant un véritable support de cette stratégie populationnelle, il est important de pouvoir en cerner les enjeux et les économies. Et ce, dans l’optique de bâtir une filière industrielle forte du numérique en santé.
Pour que le numérique en santé se développe, il est nécessaire qu’une filière industrielle forte puisse se constituer. Celle-ci peut alors être à même de nourrir un écosystème entier, de développer des leviers de croissance nouveaux et de répondre aux attentes de la commande publique. Une vision partagée par nombre de professionnels et experts du numérique en santé. A tel point que ces derniers développent la conviction selon laquelle cette véritable filière industrielle a vocation à prendre toute sa place d’ici l’horizon 2030 au travers notamment d’innovations et de mouvements forts tels que le virage domiciliaire, l’hospitalisation à domicile (et plus largement les services à domicile) ou bien encore la télésurveillance médicale.
Cet article est extrait du livre blanc de Numeum « La santé en 2030 sera numérique » portant sur les perspectives de développement du numérique en santé. Le document est librement téléchargeable à cette adresse : Livre blanc Santé Numérique 2030
Pour autant, la filière numérique n’est pas encore pleinement identifiée comme un acteur de la filière de santé à part entière. La question de sa valeur au sein de l’écosystème n’est pourtant plus à démontrer. Qu’il s’agisse de dispositifs médicaux connectés, de logiciels et ERP dédiés ou bien encore de mise à disposition d’outils et de services numériques, chacune de ces briques apporte une valeur réelle et probante au secteur. Cette valeur intrinsèque est porteuse à bien des égards pour la filière de la santé.
Santé populationnelle et innovation
Christophe Clément-Cottuz, expert dans la transformation numérique des établissements de santé et promoteur de l’Hôpital Digital explique : “le numérique doit être compris et vendu comme un service au sens littéral du terme plutôt que de chercher à réaliser du volume. Car ce dernier aspect est d’ores-et-déjà présent et adressé par les adhérents de Numeum. Néanmoins, il manque encore de véritables géants en matière de numérique en santé. Ces derniers pourraient tirer l’ensemble du marché vers le haut, à l’image de secteurs tels que l’automobile, l’aéronautique ou bien encore l’armement. Des leaders doivent donc émerger”.
L’un des moyens de parvenir à faire émerger des géants du secteur, est la conduite de projets communs à l’écosystème. Il s’agit alors de véritablement « mettre la santé populationnelle en mode projet”, précise le responsable. En mettant en place ce type de projet, cela créera de facto des opportunités de développement, y compris en Europe et à l’international, pour les entreprises du numérique. D’autant que l’enjeu est également technologique.
Médecine prédictive…
L’avènement d’une médecine prédictive va de pair avec le développement d’innovations fortes telles que l’intelligence artificielle et le Machine learning. Ces nouvelles approches permettent d’appuyer les métiers grâce à une intelligence complémentaire dédiée à l’anticipation. Mais également à l’accompagnement dans la prise de décision.
Dans une logique de santé populationnelle, ces éléments revêtent donc une importance capitale car il s’agit ici de prévenir la survenance de maladies graves grâce à l’apport de l’IA et de ses algorithmes. Ces derniers sont à ce titre au cœur de la médecine du futur avec les opérations assistées, le suivi des patients à distance, les prothèses intelligentes, ou encore les traitements personnalisés grâce au recoupement de données (big data)… Dans ce cadre, les professionnels développent des approches multiples, du traitement des langues et de la construction d’ontologies, à la fouille de données et à l’apprentissage automatique…
Développer le numérique en santé
L’un des vecteurs permettant de faire croître les acteurs du secteur demeure la robustesse et la stabilité de la commande publique. La capacité à “mettre sur la table” plusieurs projets majeurs peut en effet contribuer à dresser une vision forte du sujet. “Dans certains secteurs, la commande publique, si elle est appuyée dans le temps, peut permettre à l’écosystème de se développer efficacement. Il existe un potentiel de croissance certain pour bien des entreprises et des filières françaises. Ces dernières ne doivent pas se cantonner à des projets locaux et se porter vers de nouveaux leviers de croissance. Un sujet qui, à mon sens, doit être porté par le ministère de l’Industrie”, commente Christophe Clément Cottuz.
Non pas perçue comme un remède miracle, la commande publique peut donc contribuer à développer un secteur entier et des projets porteurs de valeur. En France, le mécanisme a en effet permis par le passé de faire émerger des fleurons de l’industrie. En somme, la commande publique va contribuer à appuyer un projet tout en structurant la filière, dans un secteur où les modèles économiques sont longs à construire et nécessitent des fonds d’amorçage. La commande publique dispose donc d’un rôle clé dans la mesure où elle permet d’aider l’ensemble des acteurs de la santé à opérer un changement dans leur organisation. Et sans changement profond de l’humain et de sa pratique, il n’y aura point de salut pour le numérique en santé.
Une mutation sans précédent
D’autant que l’ensemble du secteur de la santé est en train de changer. Le secteur hospitalier connaît par exemple une mutation sans précédent et un changement de paradigme. Ce dernier est en effet en train de s’adapter vers un modèle s’appuyant davantage sur le numérique et vers des moyens déportés de poursuivre les soins (télésurveillance, DM…). Dans ce cadre, le numérique prend toute son importance.
Charge désormais aux entrepreneurs du numérique et aux pouvoirs publics de développer une sorte de nouveau “plan qualité” destiné à anticiper et identifier en amont les projets porteurs de valeur pour l’horizon 2030. Ces derniers seront alors à même de constituer une véritable filière industrielle du numérique robuste, mais également pérenne.
Hospital at Home/HAD, virage domiciliaire : quand le suivi se porte à domicile
Parmi les tendances lourdes qui se dessinent et qui vont se pérenniser dans les années prochaines figure ce que l’on nomme le virage domiciliaire. Il signifie le souhait de nombre de français de demeurer à domicile pour réaliser le suivi de leurs soins quand ils sont en bonne santé mais également quand celle-ci se dégrade. Dans ce cadre, le virage ambulatoire et domiciliaire constitue une nouvelle étape dans le système hospitalier. Il devient même indispensable pour assurer la santé de la population et plus particulièrement des personnes en perte de mobilité. En accentuant les soins à domicile, cela rassure le patient et permet un désengorgement des hôpitaux. Il favorise également le retour et le maintien à domicile.
Il s’agit donc d’un enjeu capital dans l’équation complexe nouée entre la ville et l’hôpital. Si le numérique permet ce retour rapide à domicile, des effets positifs tels que le report modéré sur l’Assurance maladie sont à noter. En prévenant la survenance d’une pathologie ou en permettant une sortie encore plus efficace du circuit hospitalier, le coût intrinsèque que pèse sur la collectivité s’en trouve réduit.
Un virage encore « peu abouti »
Malgré cette importance, un récent rapport de la Cour des Comptes portant sur les services de soins à domicile constate que ce virage domiciliaire est “encore peu abouti” en raison d’une offre insuffisante. Le besoin demeure toutefois présent. Les derniers chiffres de l’Insee sur la population française observent une accélération de son vieillissement en raison de l’avancée en âge des “baby-boomers”. Ainsi, en 2019, 20 % de la population avait 75 ans, contre 13 % en 1975.
Le rapport regrette que les indicateurs mis en place pour mesurer ce marché demeurent encore purement quantitatifs, sans rendre compte de la qualité ni de l’intensité des soins. La Cour souhaite ainsi que l’organisation de ces nouveaux modes de prise en charge s’inscrive dans une programmation de l’offre réalisée au plus près des bassins de vie des usagers, et accompagnée par les autorités de contrôle et de tarification pour créer les conditions d’un parcours de soins. Le Ségur de la santé a toutefois permis de faire bouger les lignes.
De nouvelles exigences, de nouveaux paradigmes…
Henry Bouchet, Associé épanoui chez Xelya explique : “Le secteur arrive dans une phase où les textes réglementaires proposent de nouvelles exigences, de nouveaux paradigmes. Pour la première fois, les acteurs du médico-social sont considérés au même titre que les acteurs historiques de la santé. Il s’agit d’une avancée forte et d’un point de progression majeur dans la mesure où nos utilisateurs (auxiliaires de soin, accompagnants…) peuvent entrer dans le RPPS. Cela leur donne droit à une carte professionnelle de santé et donc aussi une messagerie sécurisée de santé. Ils deviennent en mesure d’alimenter le dossier médical personnalisé d’un patient.”
Cette meilleure prise en considération d’un volet entier de la filière va donc dans le bon sens. L’ensemble des professionnels s’accorde d’ailleurs à souligner qu’à terme, la réussite du virage domiciliaire résidera dans la capacité de coordination de l’ensemble des parties prenantes. “L’avenir consiste à disposer des mêmes outils interopérables entre chaque acteur. Le sujet est clé afin que chacun dispose des mêmes moyens de communiquer ensemble. C’est ce qui a bloqué les échanges d’informations par le passé. L’avenir réside donc dans la technologie. Les organisations doivent s’y adapter pour mieux évoluer”, précise Henry Bouchet.
Coordonner les soins
Pour favoriser la coordination des soins en sortie d’hôpital, des exemples tels que le RAAC ou RRAC (Récupération Accélérée Après Chirurgie ou encore Récupération Rapide Après Chirurgie) sont véritablement concrets et positifs. Elles visent à permettre une optimisation de la prise en charge du patient, en réduisant la durée d’hospitalisation et en permettant sa réhabilitation plus rapide et plus efficace. Il s’agit alors d’organiser le parcours de soins des patients chirurgicaux en proposant un ensemble de mesures pré, per et post chirurgie.
Les évolutions de la prise en charge, organisationnelles et cliniques, le rétablissement rapide des capacités physiques et psychiques ont pour conséquence de réduire les durées d’hospitalisation. Des réussites qui ne sont rendues possible que par un véritable volontarisme humain tissé entre professionnels de santé mais grâce également à l’apport solide d’une couche numérique laquelle permet une orchestration souple.
Là encore, le numérique tient donc un rôle prépondérant et central dans l’orchestration de ce mouvement. Les organismes disposent ainsi d’outils leur permettant d’être plus efficaces avec une qualité de service qui s’améliore lorsque la bonne information est livrée à la bonne personne, au bon moment.
La tendance forte de la télésurveillance médicale
Le développement du numérique en santé va de pair avec l’essor de la santé à domicile. C’est dans ce cadre que la télésurveillance médicale s’inscrit. En particulier pour certaines pathologies comme l’insuffisance cardiaque. C’est pourquoi des entreprises proposent des solutions numériques de télésurveillance médicale pour accompagner à distance les patients à domicile souffrant de maladies chroniques. Des technologies qui permettent le suivi au quotidien et l’accompagnement individualisé du patient par des infirmiers depuis des centres de soins certifiés.
Le patient va alors pouvoir utiliser des dispositifs de mesure connectés comme un tensiomètre, une balance connectée, un oxymètre de pouls voire un glucomètre. Chaque équipement est relié à une tablette numérique qui permet à celui-ci d’accéder à son propre suivi. Les données médicales du patient sont alors transmises et analysées à distance.
ETAPES : véritable clé vers la santé populationnelle ?
A ce jour, 5 pathologies principales sont couvertes par le programme ETAPES. L’insuffisance cardiaque fait partie de ces pathologies pour lesquelles des entreprises comme Air Liquide investissent. “La réalité de la télésurveillance est qu’il y a une grande hétérogénéité dans le succès du suivi des pathologies”, explique Pierre-Emmanuel Augustin, Directeur Nouveaux Projets, Directeur Général CDM e-Health chez Air Liquide. « Dans le domaine de l’insuffisance cardiaque, les professionnels ont réellement adhéré à cette forme de suivi car cela a modifié leur pratique. Cela a aussi été rendu possible par une bonne communication entre les différentes parties prenantes de la télésurveillance, les médecins, les opérateurs à distance et ceux qui font le lien avec les établissements. Dès lors, les cardiologues ont partagé avec les pouvoirs publics que ce type de suivi était bénéfique pour un meilleur suivi des patients et qu’il serait difficile de revenir en arrière”, ajoute-t-il.
Des propos soulignés par Flavien Mousin, Data Office Advisor & Healthcare Data Project Leader chez Air Liquide. Il précise : “En matière de télésurveillance, les cas d’usages sont importants car l’objet de cette technologie reste de sortir les patients de l’hôpital et d’éviter la survenance d’événements critiques. En modifiant quelque peu l’organisation des établissements de santé, les choses peuvent continuer d’évoluer dans le bon sens. Car la télésurveillance a pour mission d’avertir le médecin. Mais aussi de l’accompagner”.
Quid de la maturité du marché
Pour que se développe cette verticale, des efforts doivent toutefois encore être fournis. En particulier en termes de maturité d’une partie du marché. “Le point à faire encore progresser concerne la maturité du payeur et non pas du marché en lui-même ou des praticiens. Notre sujet, la prise en charge des patients chroniques en dehors de l’hôpital, a bien été compris mais les payeurs n’agissent pas forcément de concert face à cette tendance pourtant majeure”, précise Pierre-Emmanuel Augustin.
D’autant que d’autres mouvements viennent s’ajouter à cette tendance. Que l’on parle de vieillissement de la population, de ruralisation d’une partie des jeunes trentenaires ou du virage domiciliaire, la télésurveillance se présente comme un nœud clé de la transformation de l’hôpital. Les responsables de l’entreprise ajoutent : “Nous devons permettre ce choix sans que cela ne mette en péril le budget de la santé en France. Alors que les maladies chroniques coûtent de plus en plus cher à l’hôpital, les actions à conduire existent. A condition de les encourager”.
Cet article est extrait du livre blanc de Numeum « La santé en 2030 sera numérique » portant sur les perspectives de développement du numérique en santé. Le document est librement téléchargeable à cette adresse : Livre blanc Santé Numérique 2030
Olivier Robillart