Intégrer et encadrer l’utilisation de l’IA générative ne suffit pas. Les entreprises doivent “programmer” leurs propres organisations pour sensibiliser, acculturer et former leurs équipes à l’utilisation de la technologie. Côté business, elles peuvent créer de nouvelles unités dédiées spécifiquement à sa promotion et à sa commercialisation.
Le constat est partagé par un grand nombre d’entreprises du numérique. Selon l’enquête réalisée par Numeum sur l’intégration de l’IAG, le principal défi rencontré par les entreprises (47 % d’entre elles) est le manque de moyen, sinon de compétences en interne. Cet écueil constitue un frein aux potentiels leviers de croissance.
Autre enseignement prégnant, plusieurs changements organisationnels peuvent être réalisés pour transformer sa propre offre de services. Plus de 80 % des sondés ont ainsi engagé des processus de formation des équipes, 30 % ont recruté du personnel qualifié, sinon mis en place un programme de mentorat (22 %).
Dans ce cadre, les entreprises réagissent différemment face à ce nouveau paradigme. Près de 40 % d’entre elles ont restructuré les équipes existantes alors que 33 % ont créé de nouveaux services/directions. Les stratégies pour intégrer l’IA générative dans sa propre organisation diffèrent donc.
Evangéliser les équipes
Alexis Mons, représentant de l’ESN EPAM France, explique : “La technologie, seule, n’emporte pas l’adhésion. Il est obligatoire pour chaque entreprise de réaliser de nombreux efforts pour convaincre ses utilisateurs à adopter la technologie. Cela signifie investir pour évangéliser sur des terrains qui n’étaient pas prévus à la base. Je suis un adepte de la théorie du point de bascule. Les premiers utilisateurs minoritaires peuvent embarquer la masse de la population dans une utilisation constante et pérenne. Encore faut-il réellement accompagner le mouvement et avoir une réelle stratégie d’adoption. Dans ce sens, il est important de remettre de l’humain ou plutôt de ne pas le sortir du projet. Cela implique de donner à voir les gains, pour l’individu autant que pour le tout. Le changement doit avoir un sens. Et pour le reste, attention à la perte de maîtrise et de connaissances”.
Afin d’engager cette transformation, il est donc évident pour chacun d’évangéliser ses équipes et de “faire monter en gamme” ses propres clients. “De façon stratégique, l’IA est une révolution dans le mode de fonctionnement des entreprises. Il y a un changement de paradigme lié à l’arrivée de cette technologie. Il faut désormais l’adresser à l’échelle. Pour Antemeta, il nous fallait une personne qui prenne le sujet d’évangéliser en interne et d’expliquer à nos clients comment cela va arriver”, explique Emmanuel Carjat, Directeur général d’Antemeta.
Saisir les opportunités de l’IAG
Cette tendance de fond vaut pour l’ensemble des typologies d’entreprises de l’écosystème numérique. Qu’il s’agisse d’éditeurs de logiciels, d’ESN ou de plateformes, le message demeure clair. La lame de fond passe et chacun peut en saisir les opportunités. C’est par exemple le cas d’Humancraft, plateforme d’intermédiation mettant en relation donneurs d’ordre et entreprises. Martial Floucaud de La Penardille, son CEO, explique : “Nous avons totalement industrialisé notre métier grâce à l’IA. Jusqu’à présent, HumanCraft, c’était de l’artisanat. Le terme de “craft” était volontairement choisi. Nous revendiquons toujours de faire de l’artisanat mais nous le faisons désormais à haute fréquence.«
Il ajoute : « Nous rencontrions chaque individu, on le qualifiait sur ses points forts, techniques ou fonctionnels, son savoir-faire, son savoir être en entretien individuel. Et évidemment, cela nous prenait un temps considérable. Depuis un peu plus d’un an et demi, nous avons développé un moteur de matching basé sur l’orchestration d’IA qui nous permet la classification et la qualification des consultants de manière rapide et pertinente. Cela nous permet donc de faire du commerce à haute fréquence, et donc de démultiplier notre activité par l’intermédiaire de l’intelligence artificielle. En somme, nous rencontrons toujours les consultants en entretien mais nous pouvons désormais les rencontrer dans l’ordre de pertinence et non d’arrivée.” Avant de conclure : “D’une société d’intermédiation, nous allons évoluer vers une société d’édition logicielle”.
La nécessaire formation des équipes
Au-delà de la formation des équipes, il est également opportun de garantir une bonne transmission des savoir entre elles. Mary Cazanove, cofondatrice d’Agora Software confirme : “Dans tous les projets liés à l’IA générative, il existe un fort enjeu qui consiste à s’assurer de la bonne transmission des compétences et des connaissances nécessaires au sein de l’entreprise. Il est donc clé de conduire les réflexions avec un chef de projet, généralement plutôt un profil typé tech ou produit et de mobiliser quelques utilisateurs sur des rôles de périmètre fonctionnel. Cela permet de valider ces fonctionnelles, de valider rapidement des tests, de valider l’ergonomie de l’expérience, en somme”.
Quoi qu’il en soit, faire avancer ses équipes va de pair avec la nécessite de former chacun à l’utilisation de l’intelligence artificielle générative. L’idée étant d’inclure le plus de collaborateurs dans cette démarche avec une incitation forte pour chacun d’y participer activement.
« Former tout le monde«
Jacques Pommeraud, Président-directeur général d’Inetum, précise : “Nous avons développé un outil en interne doté de plusieurs LLM. Il a été mis à disposition de nos 28 000 collaborateurs. L’objectif étant de former tout le monde pour pouvoir avancer de concert”.
Isabelle Lamaison Donato, Directrice Innovation France d’Inetum et administratrice de Numeum, ajoute : “A ce jour, 75 % de nos collaborateurs ont suivi la formation dédiée à la GenAI et au prompting et 65 % ont reçu la certification dédiée. L’idée a été de développer des parcours de formation pour permettre à nos collaborateurs de faire de la GenAI un outil du quotidien. Au dela de la formation, nous déployons un programme groupe d’intégration de la GenAi dans nos pratiques du quotidien. Une grande partie de nos collaborateurs utilisent au quotidien notre plateforme GenAI Hub ainsi que d’autres outils embarquant de l’IA. Côté business, nous disposons d’équipes pluridisciplinaires avec des collaborateurs issus de l’innovation, du consulting, de la technique. Une véritable tribu spécialisée en somme.”
Une familiarisation rapide
Les professionnels sont donc globalement sur la même ligne. D’autant que cette première phase d’approche de la technologie n’est pas aussi complexe qu’elle peut paraître. Au bout de quelques semaines seulement d’apprentissage, généralement deux à trois, la grande majorité des collaborateurs (entre 80 et 90 % selon les experts) se considèrent familiers quant à l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Dans cette logique, une formation ad’hoc aide les personnes à éviter de dépasser les découragements. La courbe d’apprentissage de l’IA générative pouvant s’avérer déceptive, une fois les émois dus aux premiers résultats dépassés. En effet, une fois passée la découverte, certains utilisateurs comprennent les limites de la technologie et peuvent être tentés de la délaisser.
Yann Gloriau, Directeur technique de Sopra Steria France en charge du déploiement de l ‘IA pour le software engineering, explique : “Nous avons monté des formations dédiées. Aussi bien pour nos collaborateurs en interne que pour nos clients. Ce sont des outils que nous proposons à la demande car la portée de l’IA dans le software est conséquente.”
Un chemin tracé
Le signal est global. Marc Palazon, Directeur général de Smile, précise : “En interne, nous avons mis de l’intelligence dans nos process pour améliorer la gestion de certains sujets comme le ticketing ou dans le domaine des ressources humaines. Mais nous constatons de manière indéniable que le fait d’avoir des outils dotés d’IA permet de changer la manière de travailler. Nous avons mené des études comparatives sur le rendu d’efficacité et le ressenti des développeurs et ceux qui pratiquent ou ont pratiqué la technologie. L’idée étant de déterminer la réelle valeur ajoutée au regard de son coût. Notre enseignement est que l’on constate un gain d’efficacité global sur les projets de l’ordre de 15 %.”
Un chemin est donc tracé. Si l’investissement initial peut s’avérer conséquent. Les retombées sont globalement positives. Qu’il s’agisse de montée en compétence des collaborateurs ont de réorganisation des équipes, chaque entreprise tire des bénéfices concrets de l’utilisation de l’IA générative.
Cet article est extrait du livre blanc « L’impact de l’intégration de l’IA générative dans l’offre des ESN/ICT et éditeurs de logiciels/plateformes » publié et édité par Numeum.
Olivier Robillart