A mesure que des données numériques sont de plus en plus agglomérées par des services en ligne, s’éveille le principe d’Open data. Il suppose de mettre à disposition au profit de services tiers, des données recueillies par ses propres outils. Mais une telle entreprise ne peut se faire sans prise en considération des conditions de monétisation de ces datas.
L’Open data suppose que les informations recueillies par des organismes d’origine publique ou privée, sont disponibles au plus grand nombre. Leur usage peut donc être laissé libre aux usagers. En particulier, lorsque ces éléments sont produits par une collectivité ou un service public. Il s’agit présentement d’un principe global relatif au numérique, mais dont l’application concrète se heurte à de nombreuses réalités.
Ce fondement demeure néanmoins incontournable pour qui souhaite développer un écosystème économique numérique. Une position que partage TECH IN France à l’occasion de ses travaux et un mouvement en marche nécessaire dont l’objectif final est désormais compris et endossé par le pouvoir réglementaire. Dernier mouvement majeur en date, la consécration par le Conseil constitutionnel du principe de publicité de la justice. Les Sages considèrent que la publication des audiences contribuait à rendre la justice plus transparente. Et cela devant les juridictions civiles et administratives.
La justice en faveur de l’Open data
Dans sa décision datant du 21 mars dernier, le Conseil constitutionnel a tranché. il estime que les juridictions doivent délivrer aux tiers les copies des décisions de justice. De telles copies, doivent être en principe délivrées « sans anonymisation ». Enfin, ces éléments doivent pouvoir faire l’objet d’un recours de droit commun.
Une décision qualifiée d’historique par la société Doctrine, spécialisée dans la publication de décisions de justice. Nicolas Bustamante, son co-fondateur, explique : « Sur près de 4 millions de décision de justice rendues chaque année moins de 1% est disponible en ligne. Cela pose un véritable problème démocratique. La consécration de ce nouveau principe constitutionnel de publicité des audiences est un signal fort pour la transparence de la justice pour les professionnels du droit. Mais aussi pour les justiciables ».
Cette décision entre clairement dans la descendance d’un arrêt précédent rendu par la Cour d’appel de Paris visant promouvoir la transparence de la justice au bénéfice des professionnels du droit, en particulier des avocats et magistrats mais également des justiciables. Un principe ainsi fondateur qui permet à l’Open data de s’inscrire davantage dans le paysage numérique.
Une dynamique qui s’étend
La collecte doit permettre une valorisation de l’ensemble de la chaîne. Elle contient un coût, qui doit être répercuté sur le service tiers qui décide de l’utiliser à son tour. Et ce, afin d’en apporter une nouvelle valeur ajoutée. Se pose donc la question de la valorisation de la donnée. Au même titre que celui du développement des modèles de licensing (formule par abonnement, paiement à l’acte…).
Là encore, la réglementation en cours tente d’évoluer. Depuis notamment la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 dite « loi Lemaire » entrée en application depuis en octobre 2018. Le texte oblige les organismes publics, collectivités et à l’État à « publier des données essentielles des contrats de marchés publics supérieurs à 25 000 € et pour chaque contrat de concession ». Ces données doivent alors être librement réutilisables.
Plus récemment, la loi d’orientation des mobilités dite LOM, en discussion auprès des élus rend obligatoire l’ouverture des données de localisation en temps réel des taxis. Le texte introduit également un système de « compensation financière » pour la réutilisation de ces mêmes informations. L’article 9 de la loi en particulier consacre l’ouverture des données de transport. Les régions sont chargées d’animer la démarche.
La LOM et l’Open data
Il s’agit ainsi de rendre disponibles les données statiques et dynamiques sur les déplacements et la circulation, ainsi que les données historiques concernant la circulation ou bien encore d’informations relatives à la gestion du stationnement. Enfin, l’article 10 de la LOM impose la production de certaines données concernant l’accessibilité des transports aux personnes handicapées et à mobilité réduite.
Si ces textes constituent des avancées notoires en direction d’une meilleure prise en considération de la nécessité d’ouverture des données et d’y associer un modèle économique viable, les avancées les plus remarquables sont à mettre au crédit des acteurs du secteur. Dans ce cadre, la Cnil et la Cada ont conjointement lancé une consultation visant publier un guide pratique de la publication en ligne et de la réutilisation des données publiques.
Se confronter à de nouveaux défis
Dans ce cadre, l’éditeur Berger-Levrault a bel et bien saisi l’importance de créer des outils pour la mise en œuvre concrète de l’Open data. Il précise : « La mise en œuvre de ces principes répond à un besoin de transparence évident mais apporte une charge travail (initiale, rétro documentation et mise à jour) qui sera significative tant pour l’administration qui est à l’origine de l’algorithme (paramétrage) que pour l’éditeur de la solution informatique (qui devra documenter précisément et mettre à jour l’ensemble de ses traitements algorithmiques) ».
C’est pourquoi l’éditeur ajoute que certaines obligations, comme la transparence des comptes : « se confronte à des défis importants de nature technologique à cause des différentes modalités de diffusion, de taille des données, d’interopérabilité, de stockage ou d’accessibilité. Mais également financier via le coût de plateforme, coûts de stockage et coût de réutilisation ».
Enfin, les Etats généraux des nouvelles régulations du numérique se sont récemment penchées sur les données dites d’intérêt général et sur la nécessité ou non de les ouvrir au public. Sur ce point, le secrétariat d’Etat au numérique a proposé l’édiction de lois sectorielles spécifiques permettant d’ouvrir les données, secteurs par secteurs, à l’image de la LOM. Autre point, le Gouvernement souhaiterait également proposer un cadre général transverse permettant de définir les catégories de données dans un cadre flexible et rationnel. Sur ces points, l’attente demeure importante non seulement de la part des utilisateurs mais tout autant des éditeurs, lesquels souhaitent que la réutilisation des données soit génératrice de valeur.
Comment mieux valoriser la donnée ?
Le chemin vers l’Open data parfait est encore long. Emmanuel Bacry, directeur de recherche à l’Université Paris Dauphine, responsable de la société Namr insiste ainsi sur le fait que les entreprises ont encore besoin d’accompagnement : « la France est leader dans le domaine et fait beaucoup sur le terrain de la qualité d’ouverture. De nombreuses initiatives sont prises en ce moment mais elles ne sont pas encore correctement organisées. Je ne dresse pas ici une critique, mais plutôt un constat ».
L’apport de la société sur la donnée brute est ici indéniable. Le responsable précise : « A partir des informations récupérées dans une data library, nous faisons une jointure de ces données reliées par exemple à une adresse ou un GPS. Mais il faut comprendre qu’à la base, ces éléments parlent de la même chose. Il faut donc apporter une granularité supplémentaire pour les décoder. Nous avons finalement de nombreux trous dans ces données qu’il nous faut combler. Tout le monde reconnaît qu’il y a là une véritable richesse, à condition que tous soient accompagnées ».
Pour une utilisation plurielle
Les données ainsi produites par Namr peuvent alors conduire à être utilisées in fine par d’autres acteurs, de l’énergie par exemple, pour réduire l’impact carbone de l’utilisation des installations électriques. Le système peut créer de facto de nouveaux leviers de croissance.
Une position partagée par Jean-Marc Lazard, CEO d’Opendatasoft. Dans une entrevue accordée à informatiquenews, le dirigeant précise : « En soumettant les données à une expertise plus large – des entreprises, des partenaires industriels ou plus largement, la société civile -, leur valeur est démultipliée. Plus besoin de se contenter d’une connaissance empirique pour prendre une décision. Le partage de données offre la possibilité de bénéficier d’informations en temps réel. Les entreprises les plus performantes sont celles qui seront les plus rapides à adopter une démarche de circulation et de partage des données. Ceci est également vrai pour le secteur public. Il a devancé le secteur privé en mettant à disposition du grand public les données de certains de ses départements. A l’instar des collectivités territoriales ou des ministères avec les portails open data.»
La nécessité de valoriser la donnée
Cette question demeure dans un tout autre secteur, comme celui de la sécurité informatique. Lors du dernier FIC, le sujet de la valorisation des données a émergé. En particulier suite à la mise en place du RGPD. Le texte a permis de prendre conscience de la valeur des données en devenant une norme. Cette conscience nouvelle a permis de créer de nombreuses opportunités. L’optimisation et la mise à jour des fichiers clients poussent dans cette voie. Mieux suivis au sein de process réglementés, ils ont permis de dégager de nouvelles valeurs ajoutées.
Le RGPD provoque ainsi l’émergence de nouveaux business même si de nombreux points restent encore à éclairer. C’est le cas en particulier de la valeur intrinsèque de la donnée. Juridiquement, les données personnelles demeurent des éléments indisponibles. Ils sont donc incessibles car elles appartiennent à la personne qui n’en dispose donc pas. Dès lors, comment valoriser un droit qui n’existe pas réellement puisqu’il n’existe pas de droit « personnel » à la revente de la donnée. Une situation encore peu claire qui devra être tranchée dans les prochaines années.
La data : un « carburant » pour les services
La question de la valorisation demeure donc évidemment prégnante. Interrogée par Les Echos, Marie-Claude Dupuis (Directrice stratégie, innovation et développement du groupe RATP), explique : « la data est le carburant des futurs modèles économiques de la mobilité. Elle fera la valeur des services proposés par les différents acteurs. C’est la clef de voûte du « mobility as a service ». Cela permet à chacun, de manière personnalisée, d’accéder à un bouquet de services complet au travers d’une application unique. Mais ce n’est pas parce que la data existe qu’elle est utilisable. Il faut la recenser, la cartographier, la nettoyer, la croiser, la stocker… Tout cela coûte très cher. Quid du financement ? C’est LA question centrale. [..] Là encore, il nous paraît fondamental d’instaurer une certaine régulation. Mais aussi de définir un modèle économique afin de garantir une équité de la concurrence, dans l’intérêt des voyageurs. »
L’Open data n’en est qu’aux débuts de son histoire. Sa mission est de devenir un passage obligatoire de l’économie numérique. Elle doit établir de nouveaux leviers de croissance et co-construire son avenir. Un pari réalisable avec les éditeurs de logiciels, principaux fers de lance de ce mouvement majeur.
Olivier Robillart