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Nouvelles régulations à l’heure du numérique : mêler compétitivité, concurrence et innovation

L’événement « Nouvelles régulations du numérique : Faire de l’Europe un espace d’innovation compétitif », a mis le doigt sur les sujets les plus prospectifs en matière de régulation numérique. Pendant une matinée, le rendez-vous organisé par TECH IN France avec le cabinet SAMMAN a permis d’aborder les points majeurs -actuels ou au cours des mois à venir- autour des thématiques liées à la compétitivité, la concurrence, la responsabilité des plateformes mais également sur l’innovation des entreprises ou la confiance des utilisateurs.

La récente feuille de route développée par l’Union européenne provoque des questionnements naturels au sein du l’écosystème numérique français. Parmi ces derniers on retrouve logiquement les thématiques d’adaptation de la réglementation de la concurrence au numérique à la nécessaire conservation de l’équilibre entre innovation des entreprises et confiance des utilisateurs.

Afin de répondre à ces problématiques, pas moins de 200 professionnels ont débattu au cours de l’événement « Nouvelles régulations du numérique : Faire de l’Europe un espace d’innovation compétitif », coorganisé par TECH IN France avec le cabinet SAMMAN. L’ensemble de ces experts ont proposé des réflexions autour de la nécessaire conservation d’un équilibre de la régulation tout en préservant l’innovation, la compétitivité et la protection des citoyens utilisateurs.

Parmi les priorités de la nouvelle feuille de route européenne, l’adaptation du droit de la concurrence au numérique est au centre des attentions. La Commission européenne reconnaît en effet l’importance de l’autonomie stratégique de l’Europe en matière numérique. Une attention particulièrement suivie par Thomas Courbe, Directeur général des entreprises au sein de la DGE. Il précise : « On doit permettre aux plateformes de renforcer le droit d’accès aux données. Mais aussi de se conformer à de nouvelles règles de transparence de loyauté et d’audibilité des algorithmes. Pour ce faire, une régulation asymétrique des grandes plateformes est importante ».

Nous choisissons le modèle le plus ambitieux pour des réseaux qui touchent les européens mais également le monde entier

Thomas Courbe

L’idée est donc de développer une DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) à l’échelle européenne (France et Allemagne en tête). Afin de proposer des régulations favorables à l’innovation et la compétitivité des acteurs en place ou en devenir. Il s’agit-là véritablement d’un ciment essentiel de l’écosystème pour que prospère une souveraineté numérique. De nombreux projets d’avenir au centre desquels se nichent le déploiement de data centers ou l’implémentation des réseaux 5G.

C’est dans cette optique que s’impose une logique de protection des données sensibles et stratégiques des entreprises européennes. Il est ainsi par exemple question d’engager avec les acteurs tricolores du cloud des réflexions afin de définir une politique de cloud de confiance sur le territoire via notamment des pratiques fiscales encourageantes et attractives quant à l’implémentation de data centers. « Qu’il s’agisse de cloud ou de 5G, nous choisissons le modèle le plus ambitieux pour des réseaux qui touchent les européens mais également le monde entier », ajoute Thomas Courbe.  

Adapter la réglementation de la concurrence au numérique

L’une des priorités de la Commission européenne nouvellement constituée est sans conteste l’adaptation d’une partie de la réglementation actuelle de la concurrence afin de la faire coïncider avec les impératifs du numérique. Ce volet du droit de la concurrence confronté aux réalités du numérique fait en effet débat.

Michael Koenig, Deputy Head of Unit « Business-to-business Services » DG Growth explique : « Ce qui est nouveau est sans conteste l’intensité forte relative au numérique. C’est pourquoi j’estime qu’il est pertinent d’élargir la notion d’écosystème car la réactivité est réellement devenue clé. Les entreprises doivent pouvoir réagir rapidement à un changement notable sans quoi elles risquent de se retrouver sans services ou sans clients ». Le responsable souhaite que des observatoires de l’Economie des plateformes puissent ainsi être en mesure d’approfondir les débats sur le sujet.

Des propos soutenus par Victor Blonde, auteur du rapport au ministre de l’économie et des finances « La politique de la concurrence et les intérêts stratégiques de l’UE » et inspecteur à l’IGF. Il précise : « il y a beaucoup à faire en termes de concurrence pour faire émerger des géants numériques européens. Il faut faire monter en compétence les équipes, et les aider à enrichir les critères d’analyse concurrentielle pour mieux prendre en compte des critères d’analyses de données, faire des mesures plus rapidement ou répondre aux acquisitions prédatrices ».

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L’idée est ainsi de véritablement analyser les défis auxquels est soumis le droit de la concurrence européenne. C’est pourquoi les autorités chargées de veiller au respect de la concurrence travaillent à mieux prendre en compte certains régimes de subventions pratiqués hors de la zone européenne. Toutefois, les régulations actuelles n’empêchent aucunement l’innovation ajoute l’expert : « le droit de la concurrence n’a pas empêché d’innover ces dernières années car le droit est souple, mouvant et évolue ».

A ces thématiques s’ajoute actuellement un débat sur la concurrence qui oppose le besoin de remèdes structurels à la simple mise en place d’un devoir de loyauté. Winston Maxwell, Enseignant-chercheur à Télécom ParisTech explique : « Plusieurs écoles de penser s’opposent aux Etats-Unis sur la question de séparer structurellement les activités de certains acteurs, à la manière du secteur des télécommunications ou d’avoir une approche davantage centrée sur la coopération. La première nécessite de grands moyens et l’histoire de l’antitrust n’est peut-être pas appelée à se répéter. Il est même, à mon sens, dangereux de penser que l’on peut répliquer l’histoire ».

Une partie de l’école américaine développe donc une autre piste revenant à créer une sorte de devoir de « loyauté augmentée », de transparence accrue pour les plateformes, quant à leurs activités et les conséquences qu’elles emportent en termes de marché, de concurrence et d’innovation.

Repenser la régulation ?

Plusieurs visions sont donc à l’œuvre dans le domaine. Sans pour autant trancher la question Sébastien Soriano, président de l’Arcep formule plusieurs règles d’or en la matière. Il propose de n’agir que sur les acteurs structurants, de n’adopter qu’une régulation dont l’optique serait d’opérer une supervision du marché, le tout centré autour d’un régulateur. Un mécanisme proche de celui opérant autour des télécoms en France. Sébastien Soriano ajoute : « nous devons penser une régulation décentralisée, qui donne du pouvoir à Internet. Mais aussi aux individus, aux entrepreneurs et qui n’est pas là pour donner du pouvoir aux États. Il y a une matière de réflexion qui est bien engagée sur le sujet du numérique. »

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Le constat est particulièrement prégnant en matière de confiance et de libertés au sein de l’espace public numérique au sujet des contenus en ligne. La Commission européenne a formulé le souhait d’adopter un projet d’adoption d’une loi dédiée aux services numériques. Le Digital Services Act pourrait avoir pour conséquence de rebattre les cartes du régime de responsabilité́ instauré par la directive e-commerce. Les fournisseurs de services intermédiaires pourraient alors devoir répondre à de nouvelles obligations de responsabilité́ et de modération du contenu voire de surveillance.

La problématique revient à réfléchir à la manière de garantir un Internet libre et ouvert. Et cela sans porter atteinte à la liberté́ d’expression ou conférer de pouvoir exorbitant aux plateformes.

Prabhat Agarwal, Deputy Head of Unit « E-Commerce and Online Platforms » à la DG Connect explique : « la directive e-commerce fonde un socle pour un espace numérique uniforme. Elle permet aux fournisseurs de lutter contre les contenus illicites, ce qui est un élément de la liberté d’expression. Ma vision de l’espace à bâtir consiste en un règlement qui remplacerait la directive e-commerce. Et cela, autour de différentes approches de collaborations communes ».

Le responsable ne s’oppose donc pas à ce qu’un Etat-membre prenne des dispositions pour apporter de nouvelles régulations numériques. Mais il précise : « Parfois les Etats-membres vont certes plus vite mais si on veut aller plus loin, plus en profondeur, il faut le faire ensemble. Au sein de l’Europe ». A condition toutefois que les différents régulateurs soient en mesure de dialoguer et d’échanger ensemble.

L’enjeu est en effet, comme le souligne la députée LREM des Yvelines Aurore Bergé que s’instaure une « balance, un équilibre entre réglementation et régulation. La France est souvent en retard sur ces sujets-là. Toutefois certains secteurs comme la publicité peuvent profiter d’une approche de soft law. La question est donc surtout de savoir comment mieux réguler et moins réglementer ».

La question est donc surtout de savoir comment mieux réguler et moins réglementer

Aurore Bergé

Il est donc important de veiller à ce que ne se crée pas un effet d’empilement des règles. Ou même d’instaurer des régimes de « surrèglementation ». Les conséquences seraient néfastes pour les acteurs en place et les consommateurs. Cela aboutirait à établir un manque de transparence évident au sein de la réglementation. Ces dernières devenant de facto difficiles à appliquer.

Un constat que partage Françoise Benhamou, Professeure à l’Université Paris 13, spécialiste de l’économie, de la culture et du numérique. Elle indique : « Le besoin de connaissance des marchés est certes importante mais il faut aussi des règles. Il convient de réfléchir à des procédés ex-ante ».

Toujours est-il que la question de la directive e-commerce reste prégnante. Jean-Sébastien Mariez, avocat associé du cabinet De Gaulle Fleurance et Associés confie : « La directive e-commerce n’est pas désuète. C’est une analyse casuistique, ce qui constitue des difficultés à systématiser car l’appréciation au cas par cas reste de mise. Le débat porte sur ce que certains appellent les contenus gris. Les solutions n’ont pas encore toutes été trouvées sur ce sujet. La co-régulation, par exemple, peut s’avérer utile. Mais le rôle du juge demeure important quant bien même il peut être difficile d’apprécier certains contenus ».

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Un débat qui touche au plus haut point le « gendarme » de l’audiovisuel. Invité par TECH IN France, Roch-Olivier Maistre, Président du CSA a pu livrer sa position sur le sujet. Il précise : « La lutte contre la prolifération des infox ou contre les contenus haineux s’impose dans l’espace public. On accepte de moins en moins en ligne des propos intolérables à la télévision ou en radio. L’accent est mis sur la responsabilisation des opérateurs dans la mesure des pouvoirs qu’ils détiennent sur leur marché ».

IA, Big data, Privacy, mieux protéger tout en restant dans la course

L’un des pendants majeurs de cette régulation en cours est l’équilibre entre l’innovation élaborée par les entreprises et la confiance envers les utilisateurs. L’ensemble des textes de loi en cours ou à venir prennent en questionnement cette exigence. Qu’il s’agisse du RGPD, d’e-Privacy ou d’éventuelles régulations de l’IA, il est important que les entreprises du numérique restent dans la course. En ce sens, les éventuelles régulations doivent donc permettre à cette innovation et à la compétitivité de s’épanouir.

Selon Peter Eberl, deputy head of unit, cyber digital policy DG connect précise : « il est grand temps de moderniser la directive e-Privacy de 2002. Le projet de règlement a été vu comme un obstacle au M2M et IoT ». Pour autant, tout peut-il réellement passer par la loi ? La problématique prend tout son sens dans la mesure où de nombreux paramètres sont en jeu.

Eric Bothorel, député́ LREM, Cotes-d’Armor explique : « Tout ne peut pas se faire uniquement par une loi nationale. Recueillir le consentement des utilisateurs et avoir une bonne UX sont conciliables. Le RGPD est un modèle exportable. On peut avoir la régulation heureuse et ne pas agir uniquement dans des termes défensifs. Mais il convient de bâtir le framework qui va permettre aux entreprises européennes et françaises de répondre aux attentes des consommateurs. La soft law, le sandboxing sont de bonnes réponses. Puis à la fin, si c’est nécessaire, il peut être utile de prendre des lois ». 

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Le point est également pertinent dans des champs d’innovation forte, comme l’intelligence artificielle. Actuellement, de nombreuses initiatives venant des entreprises agissent comme de véritables concentrateurs d’activité. Pour autant, un cadrage réglementaire de cette dernière pourrait avoir des conséquences de taille.

Béatrice Delmas Linel, avocate associée au cabinet Osborne Clarke Paris indique : « L’expérimentation sur le cadre éthique de l’IA en cours en UE vise à affiner les règles. Cet objectif ne doit pas constituer de freins à l’innovation. Toutes les start-ups qui travaillent dans l’intelligence artificielle peuvent tester, via un hub, des solutions qui respectent les principes éthiques. Cela permet déviter de dresser des freins à l’innovation et d’élaborer de nouveaux usages pour créer des avantages compétitifs ».

A condition, toutefois de prendre soin des données des utilisateurs. Sophie Nerbonne, Directrice chargée de co-régulation économique à la CNIL ajoute : « il serait intéressant d’angler les questionnements sur le processus de co-écriture d’instruments de droit souple, pour donner de la sécurité juridique aux acteurs en créant un cadre clair ».

Olivier Robillart

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