Le nouvel index dévoilé par le Gouvernement regroupant 40 pépites de la tech françaises est un choix délibéré de mettre en avant certaines entreprises. Le Next40 interroge quant à sa fonction mais aussi à cause de l’absence de certains secteurs ou entreprises pourtant en forte croissance. Décryptage.
A l’occasion de Vivatech, le Gouvernement avait indiqué que serait établi cette même année un nouvel index censé regrouper les pépites de la tech française. Cet indice devait ainsi mettre en avant nombre d’entreprises du territoire en croissance forte. Le Next40 regroupe ainsi 40 entreprises technologiques dont le point commun est qu’elles ne sont pas cotées en bourse et sont entrées de plain-pied dans un processus d’internationalisation forte.
Le Next40 n’est à proprement parler par un réel indice, ni une valeur tangible dans la mesure où les sociétés qui la compose ne proposent pas d’échanger leurs propres titres (actions, obligations…). Il ne dispose de facto pas de cours public ni de réelle valorisation boursière permettant aux entreprises de valoriser durablement cette présence en son sein. Il s’agit donc plus prosaïquement d’un label apposé par le Gouvernement destiné à mettre en valeur certaines sociétés.
Un choix qui interroge dans la mesure où certaines entreprises sont délibérément absentes de ce groupement. Aussi certains secteurs s’avèrent peu voire pas représentés, alors même qu’ils soulignent la progression forte de leurs domaines respectifs. Enfin, la méthodologie employée pour recenser ces mêmes entreprises soulève des interrogations naturelles. En particulier quant à la pérennité de certains modèles ainsi exposés.
Une position partagée par Aude Barral, cofondatrice de CodinGame, un éditeur qui a fait le choix de ne pas lever de fonds. Interrogée par Challenges, sa dirigeante explique : « En défendant le modèle unique de l’hypercroissance, on adopte un modèle importé de la Silicon Valley. A croire qu’il serait inacceptable de bâtir une entreprise qui ne soit pas hautement capitalistique. Quand on brandit l’étendard de l’hypercroissance, il faut s’attendre à des dégâts collatéraux, à commencer pour les entrepreneurs eux-mêmes qui ont très peu de marge de croissance en termes de gouvernance . »
Un constat en demi-teinte
L’un des postulats consécutifs à la naissance du Next40 est que les introductions en bourse sont encore trop rares dans la tech. Outre l’arrivée remarquée de Dassault Systèmes en 1996, le Gouvernement n’a pas mis en avant d’autres valeurs technologiques notables. C’est pourtant oublier le début de la cotation de France Télécom en 1997. Il s ’est fait sur la base d’une capitalisation de 27,75 milliards d’euros.
Aussi, l’opérateur historique a fait le choix en 2000 de coter ses activités multimédia au titre desquelles on retrouvera notamment Wanadoo. La société sera alors dotée d’une valorisation d’environ 20 milliards d’euros. L’année suivante ce sera au tour d’Orange d’entrer en bourse, valorisant de fait la société à 48,6 milliards d’euros. Toujours en matière de télécoms, le groupe Iliad a ensuite fait son entrée en 2004 à la bourse atteignant par là-même le milliard de capitalisation. Neuf Cegetel suivant deux années après.
Outre le secteur des télécommunications, le parcours Gemplus (désormais Gemalto) a clairement été écarté de la parole gouvernementale tout comme JCDecaux introduit en 2001 sur la base d’une valorisation de 3,6 milliards d’euros ou bien encore Worldline, la filiale d’Atos cotée depuis 2014.
Certes le secteur marque numérique encore le pas en ce qui concerne la multiplication de valorisations fortes en bourse. Mais le constat doit davantage être mis sur le compte du manque d’un véritable Nasdaq européen. Ce dernier doit être capable de valoriser correctement les entreprises françaises que d’un manque de visibilité de leurs activités.
Des absents de taille
Toujours est-il que certaines entreprises manquent à l’appel du Next40. Soit parce qu’elles ont choisi différentes voies les conduisant à la croissance. Ou parce qu’elles n’entendent pas être cotées sur des places situées hors de la zone européenne. Le constat actuel pousse effectivement les sociétés technologiques à aller chercher leurs capitaux aux États-Unis. Le pays représente aussi le premier marché permettant de financer leur croissance à l’international.
Des financements qui se concluent souvent par une sortie prenant la forme d’une introduction au Nasdaq. Voire d’un rachat par un grand groupe technologique US. Un maillon faible pour la chaîne de financement française et européenne. D’autant que cette indépendance technologique n’est pas uniquement le fait des entreprises sujettes à l’hyper-croissance.
Pierre-Marie Lehucher, PDG de Berger-Levrault et Président de TECH IN France explique : « Cette première initiative visant à injecter des montants significatifs dans l’écosystème technologique est positive. Mais ces fonds ont probablement une cible limitée et ne semblent pas ouverts à l’ensemble des entreprises. Mais plutôt vers les start-ups et quelques scale-ups et non pas vers des entreprises déjà présentes sur le marché ».
Le Next40 semble ainsi exclure nombre d’ETI, pourtant en forte croissance et qui n’ont pas fait le choix d’entrer en bourse ou de lever des sommes considérables lors de tours de tables successifs.
Une méthodologie qui interroge
Enfin, d’autres questionnements naturels planent autour de la constitution du Next40. Selon les termes du Gouvernement, l’index regroupe en premier lieu les entreprises : « ayant réalisé une levée de fonds supérieure à 100 millions d’euros sur les trois dernières années ». Puis : « les levées de fonds les plus importantes sur les trois dernières années. Un chiffre d’affaires supérieur à cinq millions d’euros pour le dernier exercice. Avec une croissance annuelle moyenne d’au moins 30% sur les trois derniers exercices ».
Le Next40 ne comporte donc ni base, ni méthode de calcul propre. Il met ainsi en avant plusieurs sociétés promises à un bel avenir. Sans pour autant revenir précisément sur leurs perspectives de croissance. Plusieurs voix se sont pourtant exprimées concernant le modèle de certaines entreprises présentes et leurs potentiels de progression. Ce dernier s’apparente donc davantage à un instrument de promotion pour ses membres leur permettant de nouer des relations relativement proches avec les administrations.
Olivier Robillart