A mesure que le secteur industriel se développe, sa transformation numérique s’accompagne d’un équipement en services et assets numériques. Pour accompagner cette transition, le besoin de standardiser et rendre interopérable ces équipements est patent. L’OPC-UA opère en ce sens, en rassemblant de nombreux professionnels. Explications avec Marc Engel, Dirigeant d’Agileo Automation et membre de la Commission Industrie du Futur de Numeum.
La transformation numérique de l’industrie et son équipement en matériel s’accompagne d’une nécessaire standardisation et interopérabilité de ces derniers. Pour agir en ce sens, l’OPC Foundation œuvre à permettre aux systèmes de communiquer entre eux. Marc Engel, représentant de Numeum à la fondation et Dirigeant d’Agileo Automation explique la démarche de l’organisme.
Quels sont les enjeux liés à l’OPC-UA ?
Marc Engel : L’OPC Foundation est une organisation internationale de droit américain qui regroupe à ce jour plus de 850 membres. Les adhérents ont des typologies diverses. Il s’agit de fournisseurs de composants d’automatisation, d’utilisateur finaux, d’intégrateurs, de centres de Recherche, d’éditeurs de logiciels, de plateformes de cloud computing et même d’universités. Chacun travaille à l’élaboration de standards pour permettre aux systèmes industriels de communiquer entre eux mais également d’être interopérables.
En somme, l’OPC-UA est une architecture de communication orientée services résolument multiplateformes qui fonctionne aussi bien sous Windows et Linux que sur des automates programmables ou des microcontrôleurs. Depuis 2015, les spécifications sont publiques et depuis 2016, des implémentations de référence avec les codes sources sont librement accessibles avec des licences d’utilisation.
La force du standard réside dans le fait qu’il soit mondialement suivi, en Europe ou même en Chine. Et cela, dans de nombreux domaines industriels. En France, de grandes entreprises comme L’Oréal, BEL ou EDF, pour ne citer qu’elles, sont membre d’OPC-Foundation.
Un point fort pour l’adoption est qu’OPC-UA est déjà implémenté par de nombreux fabricants d’automates programmables et qu’il s’agit du meilleur moyen de faire communiquer ces systèmes de marques différentes.
L’objectif est-il donc de créer un langage commun pour l’Industrie 4.0 ?
Marc Engel : OPC-UA dispose d’un méta-modèle très puissant capable de modéliser les informations pour toutes les typologies de systèmes industriels autant matériels que logiciels. Pour cela des acteurs d’une partie de la chaîne de valeur, parfois concurrents, se réunissent dans des groupes de travail et spécifient de concert un modèle d’information pour leur domaine. Cet Information Model deviendra une Companion Specification donc un complément du standard OPC-UA.
De nombreuses Companion Specifications existent à ce jour que ce soit pour des systèmes très concrets comme un robot ou une machine d’usinage mais également pour des systèmes plus abstraits comme les machines-outils en général (OPC UA for MachineTools) ou l’Asset Administration Shell avec des complémentarités entre les modèles abstraits et les modèles concrets. Pour un robot, par exemple, la Companion Specification « OPC Unified Architecture for Robotics » permet de s’adresser à des robots de marques différentes et de structures différentes pour connaître leur structure (cartésien, SCARA, articulés,…) ou leur modèle mais aussi pour suivre leur fonctionnement : quelle tâche est en cours d’exécution, quelle est la température d’un moteur.
OPC-UA représente donc bien un langage commun pour les systèmes industries quels que soient les fabricants, les utilisateurs finaux, les typologies d’industries, les cibles d’implémentation et les niveaux dans la pyramide de l’automation allant du capteur au cloud. C’est un élément essentiel de l’Industrie 4.0 qui est d’ailleurs recommandé dans le modèle de l’architecture de référence RAMI4.0.
Quid de l’adoption des standards ?
Le travail de spécification est donc important. Mais il convient également d’aborder le sujet de l’adoption des standards. A l’heure actuelle, de nombreuses approches ont été opérées par le bas, en ciblant les systèmes et les sous-systèmes tels que les vérins, les pompes ou les robots. Toutefois, les professionnels se rendent désormais compte que, dans l’optique d’une généralisation d’OPC-UA dans une usine, une approche dite « par le haut » est nécessaire et complémentaire.
De nombreuses entreprises souhaitent en effet collecter des données consécutivement à la numérisation de leurs installations. Le tout se pense de manière globale dans la stratégie même de numérisation et on voit de plus en plus d’utilisateurs finaux (fabricants du secteur de l’automobile, de l’agro-alimentaire, des cosmétiques, …) s’impliquer dans le processus de spécification ce qui va certainement en renforcer l’adoption. En effet ces usines commencent à demander que les machines dont elles font l’acquisition soient « Industrie 4.0 Ready » et donc en capacité de supporter OPC-UA et les Information Models nécessaires à leur besoin.
Comment le secteur du numérique peut-il s’impliquer dans cette standardisation ?
Marc Engel : Nous assistons actuellement à une rencontre entre le monde industriel et celui du numérique. Je dirais même que les deux s’inspirent mutuellement. Le standard OPC-UA progresse ainsi naturellement. OPC-UA est fait de concepts informatiques dans une démarche de représentation qui est très similaire aux langages orientés objets. OPC-UA est un concept 100% numérique pour le monde industriel ! D’autant que ces mouvements accompagnent le développement de l’IoT et des besoins grandissants en termes de connectivité du capteur à la plateforme de collecte de données dans le cloud.
Le standard s’applique dans le quotidien d’une usine. Il permet de faire le lien entre l’IT et l’Operational Technology. De cette liaison naît le besoin d’établir une connectivité des systèmes dans une logique 4.0. Le tout devant se présenter avec une obligation native d’être robuste en termes de cybersécurité et d’authentification. Sur ce point, OPC-UA a pris en compte ce besoin dès les premières étapes de sa spécification.
C’est pourquoi les entreprises du numérique ainsi que les éditeurs doivent prendre le sujet de la standardisation à bras le corps dans le développement de leur système. Il s’agit pour cet écosystème de devenir un véritable acteur de cette démarche. D’autant que la standardisation permet de réduire les coûts d’intégration dans la mesure où les systèmes seront plus facilement connectables. Il faut donc réfléchir à la proposition de valeur du futur en prenant en compte ce nouveau standard.
L’OPC-UA possède enfin le mérite de se porter vers les sujets de demain. En particulier en termes de transformation écologique. En interconnectant mieux les machines, il devient plus aisé de faire remonter, par exemple, la consommation énergétique des systèmes. Ces collectes de données sont alors réalisées de manière fiable. Ce qui participe à la mise en place de la réduction de l’énergie consommée. Un équipement standardisé peut ainsi plus facilement être mis en veille lorsqu’il n’est pas utilisé.
Quelles sont les futures actions mises en œuvre ?
Marc Engel : Nous sommes aux prémices du déploiement d’OPC-UA dans les usines en utilisant toute sa puissance de modélisation de l’information. Cette utilisation génère un important retour d’expérience. Lors des derniers OPC Days, plusieurs utilisateurs finaux ont fait part de leur expérience. Renault, notamment, présentait un déploiement dans 17 usines sur plus de 3300 équipements et 1 million de points de mesure.
Pour l’instant les usines ont plutôt tendance à définir leur propre Information Model parfois en s’inspirant de Companion Specifications existantes. Mais cela ne permet pas de passer à l’échelle. C’est pourquoi nous favorisons la mise en avant d’architectures de référence. Elles permettent d’œuvrer en faveur de l’interopérabilité à grande échelle.
Vers un label 4.0 ?
La mise en place d’un label 4.0 portant sur les systèmes industriels est une bonne chose. A l’heure actuelle, la démarche européenne vise à définir une architecture de référence qui contient de fortes recommandations d’utilisation d’OPC-UA. La tendance à l’œuvre est donc d’aller vers un label de conformité envers cette architecture.
Enfin un chantier majeur est de travailler sur la boucle de rétroaction ou, autrement dit, d’amélioration continue pour tirer tous les bénéfices de cette architecture de collecte de données. De quoi s’agit-il ? Sur les données collectées, on réalise des analyses via des algorithmes classiques de type SPC (Statistical Process Control) ou plus avancés à base notamment d’intelligence artificielle et de machine learning. Les résultats de ces analyses vont permettre de modifier ou de régler plus finement certains paramètres du process de l’usine au niveau opérationnel.
Cela suppose donc de rétroagir sur l’OT depuis l’IT. Cela pose des problématiques de cybersécurité et de collaboration entre le flux de données et le flux de contrôle. Tout est pratiquement à faire dans ce domaine et des Design Pattern architecturaux doivent être mis en place. Là encore, le secteur du numérique a toute sa place ainsi que la légitimité pour participer à ces travaux.
Olivier Robillart