La loi d’orientation sur les mobilités (LOM) votée le 19 novembre dernier propose d’encadrer l’activité des travailleurs indépendants au sein des plateformes. Un enjeu et une innovation pour le secteur permettant ainsi d’améliorer la protection sociale des travailleurs indépendants tout en sécurisant le modèle des plateformes. Mais aussi de donner confiance à d’autres acteurs de la mobilité intelligente et au-delà.
Ces derniers mois ont été le terrain de discussions animées mais constructives autour du projet de loi relatif à la mobilité. Le texte a vocation à mieux définir et encadrer ce que sera l’ensemble de l’écosystème des déplacements et de la mobilité dans les années futures. On pense naturellement au désengorgement de certaines agglomérations, aux problèmes d’enclavement de plusieurs régions, au développement du multimodal mais moins à la structuration de nouveaux droits pour les travailleurs indépendants du secteur des transports, sujet pourtant majeur pour une mobilité à la demande.
Cette loi structurante, qui fait suite aux Assises de la mobilité organisées en 2017, doit permettre de redessiner de nouveaux principes dans l’optique d’encourager l’innovation. Un objectif particulièrement patent en ce qui concerne les enjeux relatifs aux plateformes de mise en relation de travailleurs avec une clientèle. De nombreuses entreprises comme Uber, Deliveroo ou Heetch se sont en effet développées sur le territoire. Un essor dû à un besoin du marché français en termes de services de nouvelles mobilités à la demande.
Pour autant, ces mêmes sociétés ont connu un essor considérable tout en opérant dans un cadre réglementaire peu prévisible. Un corpus juridique dont l’évolution est nécessaire afin d’améliorer les conditions d’activité des travailleurs indépendants tout en donnant plus de prévisibilité juridique aux opérateurs.
Le secteur favorable à des chartes volontaires
L’idée sous-jacente de la nouvelle loi est de pouvoir instaurer un socle commun de droits proposé par les opérateurs à destination des travailleurs indépendants utilisant leur plateforme dans le cadre de leur activité. Ainsi, l’article 20 de la LOM vient cadrer la relation entre travailleurs et plateformes permet : « l’établissement à titre facultatif, par les plateformes de mise en relation par voie électronique, d’une charte précisant les contours de leur responsabilité sociale, de manière à offrir des droits sociaux supplémentaires aux travailleurs indépendants qui ont recours à leurs services ».
L’édiction de ces chartes sera donc volontaire pour les plateformes. Ces dernières pourront s’engager sur des droits que les travailleurs utilisant les plateformes pourront revendiquer. De tels documents devront, après une consultation des travailleurs, être validés par l’administration.
Laurène Guardiola, Sr. Public Policy Associate pour Uber, explique : « Ce dispositif de charte sociale permettra d’une part de continuer à améliorer les bénéfices sociaux offerts aux travailleurs indépendants, et d’autre part, de sécuriser le modèle de certaines plateformes qui repose sur l’intermédiation avec leurs clients. Les consultations menées auprès des partenaires coursiers ou chauffeurs ont montré que ces travailleurs souhaitent demeurer indépendants et valorisent la flexibilité mais également le fait d’être son propre patron. Les chartes vont permettre de sécuriser ce modèle-là. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il s’agit d’un blanc-seing pour les plateformes car elles seront tenues de respecter ce que contiennent ces documents et se verront également appliquée de nouvelles obligations ».
Ce souhait d’indépendance ressort notamment d’une consultation conduite entre mars et mai 2019 par Uber auquel 7000 travailleurs indépendants qui collaborent avec sa plateforme ont répondu. Les aspects les plus appréciés des chauffeurs VTC dans leur activité sont, dans l’ordre, le fait de « travailler quand ils le souhaitent » à plus de 65%. Puis, vient l’importance d’être « son propre patron » (à près de 60%), puis le fait de pouvoir travailler « autant qu’ils le souhaitent » (environ 30%).
LOM : un progrès en matière sociale ?
Les dispositions contenues dans la LOM insistent par ailleurs sur le fait que des avancées « ne peuvent par la suite constituer des indices de requalification de la relation contractuelle en salariat ». La loi vient donc limiter une situation paradoxale érigeant chaque progrès social au bénéfice des travailleurs en risque de requalification en contrat de travail. C’est pourquoi, la loi ne permettra au juge de prendre des éléments dans la charte afin d’alimenter son analyse de l’existant. Toutefois, si une plateforme ne respecte pas la charte, elle pourra toujours être attaquée par des travailleurs.
« Le dispositif de la LOM va de pair avec de nouvelles obligations pour les plateformes. C’est-à-dire davantage de transparence sur les prix et les distances pour les courses ou une interdiction de pénaliser les travailleurs qui n’accepterait pas les courses. Cela va également dans le sens d’une meilleure transparence sur les revenus et les heures de travail. En outre, les plateformes devront contribuer au compte personnel de formation professionnelle des travailleurs. Les chartes sociales vont de pair avec les obligations », explique Laurène Guardiola.
La loi sur les mobilités n’écarte donc pas la menace judiciaire pour Uber ou d’autres plateformes de mise en relation. La loi permet donc toujours in fine aux travailleurs de se retourner contre les plateformes. En particulier si ces dernières n’appliquent pas la charte fixée.
Des opportunités économiques
Le développement des plateformes a permis de créer des opportunités économiques incontestables. Il convenait toutefois de faire entrer cette réussite dans le modèle social européen et français. C’est pourquoi la LOM représente sans conteste un premier pas en termes de développement d’un réel statut de l’indépendance. Un modèle qui doit, à l’avenir, être renforcé.
« C’est une partie du chantier qui ouvre à un domaine plus vaste encore : celui de la protection et des droits des travailleurs indépendants. Les débats sur les droits sociaux des indépendants sont les mêmes pour tous », ajoute la responsable d’Uber. L’article 20 de la LOM permet en effet de renforcer le droit à la formation professionnelle des travailleurs des plateformes, en définissant notamment des règles d’alimentation du compte personnel de formation.
Le document précise que la majorité des chauffeurs Uber est en effet intéressée par le fait de disposer d’un soutien financier en cas de baisse d’activité (56%). De même, 49% d’entre eux souhaitent une amélioration de la protection sociale – en matière de santé, indemnités en cas d’arrêt maladie, mutuelle, etc…
Sur ce plan, la loi El Khomri avait déjà permis de mettre en place des assurances pour les collaborateurs des plateformes. Ces dernières ont donc été en mesure d’étendre leurs partenariats. Certaines entreprises comme Uber ont même ouvert une assurance Protection Partenaire avec AXA.
Les collaborateurs utilisant l’application Uber peuvent, depuis 2018, bénéficier gratuitement d’une couverture santé et prévoyance en cas d’accident et également d’indemnités en cas d’arrêt de travail, d’hospitalisation suite à un accident pendant une course, ou événements de la vie comme l’arrivée d’un enfant. La société déploie également une protection en cas d’accident ou d’arrêt de travail dû à une maladie ou à des blessures corporelles survenues pendant et en dehors d’une course. Cette couverture est gratuite pour les partenaires Uber indépendants.
Le contre-exemple américain
La France a donc abordé une voie propre au développement des plateformes. Une partie des Etats-Unis a en effet opté pour une approche différente avec une méthode récemment dévoilée par la justice californienne. La méthodologie dite AB-5 est la codification d’une récente décision de justice baptisée Dynamex. Cette dernière permet d’analyser un éventuel lien de subordination entre un travailleur et une plateforme.
Cette méthode ne concerne que la Californie et n’est, en l’espèce, pas applicable sur le territoire européen. Le marché américain repose en effet principalement sur la « gig economy » au moyen notamment des voitures en pair à pair. Les chauffeurs pratiquent ainsi la fonction en complément d’autres activités professionnelles et d’autres revenus. Il n’existe en effet pas de barrière à l’entrée pour devenir chauffeur aux Etats-Unis. Une formation est en effet nécessaire en France pour devenir chauffeur. L’AB-5 n’est donc pas réplicable sur le territoire.
Toujours est-il que ce modèle a pour conséquence d’imposer une limitation du recours aux travailleurs indépendants. Les sociétés telles qu’Uber, Lyft et DoorDash souhaitent au contraire, financer de nouvelles protections sociales relatives à la santé, aux accidents de travail et aux assurances en échange du maintien de leur statut d’indépendant. Un schéma dont il reste encore à définir les contours pour que collaborent ensemble plateformes et travailleurs indépendants.
Olivier Robillart