Les aides permettant de financer la Recherche et Développement ou l’Innovation peuvent apparaître comme étant pléthoriques. Leur cadre d’application s’avère flou voire trop souvent réducteur. Entre le Crédit d’Impôt Recherche dont il faut à présent passer entre les fourches caudines et le Crédit d’Impôt Innovation au champ restreint, les professionnels naviguent en terrain complexe.
Pour aider à financer ses travaux de Recherche et de Développement ou prévoir la mise sur le marché d’un produit ou service innovant, une entreprise peut demander à ce qu’une partie de ses financements soient pris en charge par la puissance publique. Dès lors, plusieurs mécanismes entrent en jeu en fonction de la nature de la recherche et de l’objectif poursuivi. Quel que soit le caractère menant au financement, chaque professionnel se lance dans une démarche administrative à plusieurs ressorts.
A l’heure actuelle, outre les levées de fonds émanant de capitaux privés, les principaux dispositifs existants sont de trois nature. Le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) propose un financement pouvant atteindre jusqu’à 30 % des dépenses réalisées. Il se présente sous forme de crédit d’impôt sur les sociétés (IS) pouvant être remboursé. Il convient toutefois de montrer patte blanche et de répondre à de nombreuses conditions pour en bénéficier intégralement. Le cadre du CIR a été récemment réduit pour devenir un goulet étroit. Il est primordial de justifier correctement sa recherche.
Charles-Edouard de Cazalet, directeur associé de Sogedev, l’un des cabinets leaders historiques du conseil en financement public pour l’innovation explique : « Aujourd’hui, la phase de commercialisation est moins bien couverte que la phase de conception ou même de développement. Pourtant, lorsqu’un projet est conçu, les professionnels ont naturellement besoin de le commercialiser. A ce stade, la dépense marketing n’est que peu voire pas couverte. Pourtant, l’objectif de ce financement est par principe le partage du risque. Si cet élément n’est plus partagé à la phase de commercialisation, le professionnel se retrouve seul ».
L’innovation requiert des fonds
L’expert met ainsi le doigt sur un point crucial qui peut concerner chaque éditeur de logiciel. Ce dernier doit bien souvent non seulement avancer des dépenses en personnel pour financer l’innovation ou sa recherche mais également déployer des ressources financières pour gérer son hébergement. « Cette partie n’est pas intégrée dans les aides fiscales, ce qui rend la tâche des entreprises peu évidente. Toutes ces dépenses ne sont pas prises en compte, ce qui est dommage car les aides n’épousent pas réellement le mouvement du marché en termes d’innovation logicielle », précise Charles-Edouard de Cazalet.
Afin de différencier la recherche, éventuellement technologique et fondamentale, de l’innovation, un second volet a été mis sur pied. Le Crédit d’Impôt Innovation (CII) permet d’obtenir un crédit d’impôt de 20 % du montant de certaines dépenses d’innovation. S’il s’agit résolument d’un cadre plus ouvert, le dispositif peut donc manquer sa cible.
L’une des préconisations du secteur serait d’aligner une partie des dispositifs du CIR et du CII. L’objectif étant d’adresser un coup de pouce aux projets certes technologiquement peu complexes mais fortement innovants. Un terrain qui attise la crainte des pouvoirs publics que les budgets n’explosent. Pourtant, une montée en douceur pourrait être organisée afin de limiter toute secousse budgétaire pour l’Etat.
Un besoin de stabilité dans les aides fiscales pour financer l’innovation
Parmi les aides auxquelles les entreprises ont droit figure la nomination en tant que Jeune Entreprise Innovante (JEI). Ce statut lui confère une exonération de charges patronales d’URSSAF et d’impôt sur les sociétés. A condition toutefois que 15% de ses dépenses soient réalisées en R&D. Il est donc important de convenir qu’à l’heure actuelle, de nombreuses start-ups n’y ont pas droit.
« Il existe actuellement une définition fiscale de l’innovation qui empêche d’autoriser les entreprises innovantes à bénéficier de ces dispositifs. Cela peut être de nature à créer des confusions », explique Charles-Edouard de Cazalet. Un point que soutient nombre de professionnels, qu’ils soient jeunes ou, au contraire, expérimentés.
Mieux épouser les tendances du marché
Daniel Cohen-Zardi, président et CEO de Softfluent explique : « Softfluent a été créé il y a 14 ans. Depuis notre création, les dispositifs ont beaucoup évolué. Les professionnels désirent une certaine forme de sérénité et de stabilité en matière d’aides. Ce qui peut s’avérer difficile en fonction des contextes politiques changeants. La France a, par nature, l’habitude de beaucoup légiférer. Cela peut entretenir un certain flou ».
Le constat est donc clair. Les aides fiscales émanant de l’Etat devraient mieux épouser les tendances fortes du marché. Mais aussi suivre les réalités des professionnels pour financer l’innovation. D’autant que les mécanismes de Recherche ou d’innovation se font à présent sur des temps relativement courts. L’arrivée rapide de nouveaux acteurs peut ainsi rebattre les cartes sur des marchés sur lesquels le soutien public n’arrive que trop tardivement.
« Sur le SaaS, l’innovation se fait au quotidien. Bien que nous ne soyons pas sur de la technologie pure, des éléments tels que l’interface utilisateur deviennent des éléments différenciateurs. Il est donc clairement possible de créer de la valeur durable, en créant des champions du SaaS, c’est l’ensemble de l’Economie qui en profitera », ajoute Daniel Cohen-Zardi.
Patent Box et besoin de rapprocher université et monde professionnel
La Loi de Finances pour 2019 est venue réformer le régime fiscal de faveur des revenus tirés de brevets en étendant ce régime dit de « patent box » aux logiciels. Les revenus issus de l’exploitation des brevets ou des logiciels originaux sont soumis à un taux préférentiel d’impôt sur les sociétés de 10%. Ce système favorise l’innovation sur le territoire.
Une mesure qui va dans le bon sens, selon l’avis des professionnels quand bien même le domaine de la propriété intellectuelle s’avère encore compliqué dans le secteur du logiciel, à la différence d’autres marchés, jugés plus scientifiques. Toujours est-il que la solution pourrait provenir d’un rapprochement entre milieu de la recherche et monde de l’entreprise. Ces deux univers ont tout intérêt à travailler de concert afin d’élaborer ensemble des champs de recherche appliqués ainsi que des terrains de commercialisation propre.
Bâtir un écosystème complet
Un propos que soutient fortement Pierre-Marie Lehucher. Le PDG de Berger-Levrault explique : « Pour continuer de bâtir un écosystème complet, il faut que les universités et les entreprises se rapprochent. Si nous voulons faire progresser les solutions qui répondent aux défis des entreprises, il faut diagnostiquer leurs besoins sociétaux. Mais également mieux les faire comprendre aux milieux universitaires ».
Un véritable pari patent à l’heure pour financer l’innovation. Où la puissance publique est sommée de se repositionner sur l’échelle du risque. L’enjeu est de taille pour que la France puisse développer de nouvelles scale-ups ou ses futures licornes du numérique.
Olivier Robillart