La période consécutive au confinement a provoqué un changement conséquent dans les organisations des entreprises. Le télétravail s’y est fait une place par obligation. Mais ce mode représente-t-il une évolution logique des habitudes de collaboration ou marque-t-il un changement brutal ? Les experts répondent.
Lors de la période de crise sanitaire qu’a traversé la France, un nombre conséquent de salariés ont pu gouter, tout ou partiellement, au télétravail. Un essor précipité de nouveaux usages professionnels a ainsi eu lieu. Parmi ceux-ci figure sans conteste le télétravail. Une pratique auparavant limitée à 5,2 % des actifs européens de 15 à 64 ans exerçant leur emploi principalement depuis chez eux en 2018. Ainsi, le travail à domicile ne concernait environ que 6,6 % des actifs en France.
Face à ces mutations des habitudes de travail, de nouvelles problématiques surgissent afin de déterminer non seulement l’état de la loi sur le sujet mais actuellement les perspectives. La question demeure en effet prégnante afin de savoir si le télétravail va-t-il ou non se pérenniser. Et ce dans une proportion encore inconnue. Toujours est-il que les interrogations subsistent quant à la capacité à réellement mettre sur pied le télétravail tout en tenant compte de l’hétérogénéité de la situation des collaborateurs.
Un constat global s’impose donc auquel TECH IN France vient se joindre en donnant la parole à des DRH et des experts du sujet. Outre l’organisation régulière d’un groupe de travail sur les thématiques RH, l’association a permis la tenue d’un Webinar dédié à la question. Des responsables des ressources humaines peuvent ainsi livrer leurs retours d’expérience, sur la manière d’aborder cette phase suivante du télétravail, et les retours de leurs équipes. Des paroles précieuses pour qui entend modéliser de nouvelles organisations du travail.
Le numérique a atteint une maturité inédite
Pour le sociologue Bruno Marzloff, spécialiste des thématiques relatives à la mobilité et au travail, des changements profonds sont en cours. « Du côté des usagers et des télétravailleurs se pose la question du temps réellement choisi. Mais également de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Les outils numériques préexistaient déjà à la situation mais le digital atteint à présent une maturité inédite. De nombreux lieux permettent de travailler autrement (espaces de coworking, bureaux partagés, domicile…) et de nombreux dispositifs végétaient. Jusqu’à ce qu’ils puissent désormais être utilisés par le plus grand nombre. Mais le risque subsiste à cause du fait que la conception du travail demeure encore façonnée autour d’une conception ancienne du travail ».
Des propos encourageants en faveur d’une acceptation plus grande du télétravail. A cette conception s’oppose toutefois le fait que des situations particulières peuvent se rencontrer chez certains professionnels. C’est par exemple le cas lorsqu’une personne vient de rejoindre une entreprise et qu’il se situe dans un processus d’onboarding. Malgré ce type de freins, « le travail revêt une norme constitutive du télétravail et il n’y aura pas de retour en arrière », estime le sociologue.
Françoise Farag en charge du groupe de travail RH de TECH IN France et Présidente de Salvia Développement ajoute : « le dernier pas réside dans l’aménagement du territoire et de la ruralité. Nous avons constaté en interne une demande forte en termes de télétravail. Et ce pas uniquement en région parisienne ». Il semble que l’adhésion aux formes de télétravail soit relativement générale. L’ensemble des craintes naturelles au début du confinement ont donc été levées. Cède à la place davantage d’attentes auprès des dirigeants pour une prise en compte de ces nouvelles habitudes de travail.
Vers de nouvelles organisations du travail
Marine Darocha, Responsable RH de la pépite des Constructech Wizzcad explique : « la période récente a permis l’accélération du home office. Suite à notre levée de fonds, nous avons intégré de nouveaux collaborateurs. Mais cela a freiné leur intégration. Le contrôle de leur activité et de la performance demeurait alors pertinent en télétravail. Pour l’avenir, nous allons maintenir tout ou partie de télétravail. Tout en prêtant une attention particulière aux process et à notre communication auprès des collaborateurs ».
Dès lors, comment contrôler le travail effectué. Et par quels outils ? Une question qui demeure dans la mesure où il reste important de quantifier l’activité via un suivi tout particulier. Shana Roy, Chief People Experience Officer de Talentsoft ajoute : « nous avons constaté des différences culturelles entre Europe et Amérique du nord. La bonne surprise du confinement a été un véritable renouvellement de la confiance et de l’écoute réelle. Les informations ont pu circuler efficacement. Mais des difficultés demeurent encore à propos de la partie collaborative. Disposer d’outils numériques ne signifie pas forcément que les équipes savent les utiliser. Il faut donc développer de nouvelles compétences ».
Des propos reprise par Yaëlle Leben, DRH France de Salesforce. La responsable indique : « Certains collaborateurs sont rapidement passé d’une situation de bien-être à des périodes de stress. Principalement à cause du manque de perspectives quant à la manière dont leur travail allait s’organiser. C’est pourquoi nous avons été, et nous sommes toujours, plus précautionneux que le Gouvernement. Les équipes de Salesforce poursuivent le télétravail, même après le déconfinement ».
Un choix d’autant plus fort qu’en droit français le télétravail demeure une exception. La règle principale demeurant la présence physique au travail.
Pour la loi, le télétravail peut arriver dans une « nouvelle phase »
Face à ces changements, la loi française propose aux entreprises un entre-deux avec lequel il convient de rester prudent. Si le législateur a certes imposé, pendant une période définie, le télétravail comme une norme, elle était assortie d’une limitation des déplacements. Toutefois, à mesure que le déconfinement s’organise, le télétravail va redevenir une exception à la présence au sein des entreprises.
Audrey Curien, avocate chez 140vh conseille aux entreprises la mise en place d’accords collectifs, de chartes ou d’accord afin de définir les plages horaires de travail, de télétravail, de congés payés ou d’activité partielle. Elle indique : « La distance n’empêche pas le contrôle. Mais chaque employeur doit se remémorer que c’est à lui qu’il revient de mettre en place des mesures en faveur de la déconnexion des salariés, par exemple. Certains coupent l’accès aux outils de travail après 7h d’utilisation quotidienne. Un employeur doit donc non seulement préserver la santé physique mais également psychique au travail, maintenir l’équilibre du cadre personnel/professionnel et maintenir une attention au cadre de travail, même en télétravail ».
Dès lors, un employeur peut imposer à ses équipes le télétravail. Tout comme une activité en présentiel en respectant les règles relatives au déconfinement.
En guise de propos conclusifs, le sociologue spécialiste des questions de mobilités Bruno Marzloff ajoute : « nous assistons actuellement à la constitution d’une sorte de zone grise née de par la création de délocalisations du travail. Des questionnements vont alors se faire plus insistants. En Suisse par exemple, la justice a donné droit à un salarié. Il demandait à ce que son employeur lui rembourse ses frais locatifs réclamés lors des périodes de télétravail. De nouveaux sujets émergent. Il faut y prendre garde car il serait dommage que les collaborateurs retombent dans une zone de stress ». Une question centrale demeure donc. Face à un risque évident « d’archipelisation » du travail, il demeure crédible d’établir une sorte de nouveau contrat social entre collaborateurs et dirigeants. Un nouveau pari enthousiasmant dont pourrait émerger de nouvelles habitudes de travail et de nouvelles organisations pour les entreprises.
Pour recevoir le replay du Webinar : Télétravail, futur du télétravail organisé par TECH IN France, veuillez vous rendre sur cette page.
Olivier Robillart