A l’occasion de l’AI France Summit, nombreux sont les professionnels, experts, entreprises et élus à invoquer l’intelligence artificielle comme levier de croissance. Une opportunité à saisir dès à présent.
Comment faire de la France une nation championne en termes d’intelligence artificielle ? Si le pari semble d’ores et déjà gagné sur les terrains de la recherche et de la technique pure, des questions subsistent lorsque l’on évoque les potentialités offertes par la technologie pour les entreprises du territoire. Loin de dresser le constat d’un pays en retard au sujet de l’intelligence artificielle, les intervenants présents à l’AI France Summit démontrent au contraire que les acteurs français du sujet sont au fait de la question.
L’événement, organisé par TECH IN France, la CGET et la Direction Générale des Entreprises (DGE), a accueilli ce 19 février un millier de participants afin de dresser le constat des potentialités de l’écosystème France en matière d’intelligence artificielle. A ce jour, plusieurs secteurs sont appelés à utiliser fortement la technologie dès à présent ou dans un avenir proche. Ces domaines, clairement identifiés par les professionnels, sont la santé, l’industrie, les services financiers ou bien encore le commerce.
Actuellement grands consommateurs en IA, ils ont vocation à l’intégrer plus durablement dans les prochaines années. La France a donc tout intérêt à accompagner ces écosystèmes afin notamment de conserver son titre de 2ème pays européen en matière d’investissement dans l’IA, derrière le Royaume-Uni, selon les chiffres avancés par l’étude Pipame : « Intelligence artificielle – Etat de l’art et perspectives pour la France » émanant du cabinet Atawao Consulting.
L’enjeu est de taille
« C’est un enjeu de l’économie de la donnée à l’intérieur même de l’écosystème et des filières », explique Mathieu Weill, Chef du service de l’économie numérique de la DGE. « Nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) sur la question de l’utilisation et de la réutilisation des données. L’enjeu de la diffusion de ces datas au sein même des entreprises est devenu clé pour qu’elles répondent aux besoins et challenges de demain. Cette action sera d’ailleurs coordonnée au niveau européen », précise le responsable.
Un point que partage par Pierre-marie Lehucher, président de TECH IN France et PDG de l’éditeur Berger-Levrault, présent sur la scène du centre Pierre Mendès-France : « les grandes plateformes technologiques B2B sont européennes : Dassault Systèmes, Siemens, Schneider Electric ou SAP. Ce sont elles qui disposent des données des entreprises, et la France et l’Europe disposent de très grands champions industriels qui grâce à ces plateformes ont entamé leur transformation digitale. Par ailleurs l’écosystème français propose un large éventail de startups qui se révèlent chaque jour plus matures pour accompagner cette transition ou disrupter les modèles existants. C’est donc le bon moment d’agir car la question est au cœur de tous les sujets ».
Un grand besoin de données pour nourrir l’intelligence artificielle
Pour que les grands systèmes d’IA puissent fonctionner correctement, ils ont besoin d’une large quantité de données. Ces dernières viennent alors nourrir des algorithmes performants permettant à des systèmes complexes de dégager des solutions et de s’améliorer. Le Machine Learning requiert un nombre considérable d’informations dont les entreprises doivent pouvoir utiliser et réutiliser, à condition toutefois que celles-ci ne soient pas cloisonnées ou cadenassées dans des systèmes fermés.
Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances et du ministre de l’Action et des Comptes publics, chargé du Numérique explique : « Diffuser l’intelligence artificielle dans notre économie, pour renforcer la compétitivité de nos entreprises est l’enjeu de 2019. L’IA doit être accessible à toutes les entreprises, elle n’a pas de frontières. [..] Elle est aussi utile à toutes les industries, de développement ou de services, elle ne choisit pas les entreprises en fonction de leur taille, elle est là pour toutes ».
Un constat commun
Un constat compris par les professionnels, en particulier ceux de la santé. Ce domaine qui, proche des personnes, produit de nombreuses données et revêt une importance sensible pour laquelle il existe, selon les experts, un véritable risque à la « non-ouverture des données ».
Stéphane Bidet, PDG de Healsy, une start-up spécialisée dans l’IA médicale, explique : « il ne faut surtout pas avoir peu de partager la donnée, de la rendre accessible car cela permet de développer des solutions nouvelles et de traiter les patients au mieux. Un patient atteint de diabète doit, en principe, consulter un médecin tous les 6 mois. Lors de son rendez-vous, il arrive donc avec 6 mois de données avec lui. Le praticien doit pouvoir bénéficier de toutes les informations nécessaires et contextualisées en fonction de chaque personne ».
Autant de données qui doivent ainsi être pseudonymisées pour que les professionnels de santé puissent travailler sans inquiétude aucune. Pierre-Henri Comble, Conseil du Président, en charge de la prospective et des data de Cegedim Insurance Solutions, précise : « le point le plus important demeure la question de l’interopérabilité entre données. Nombre de dispositifs ne communiquent pas entre eux alors que cela servirait l’ensemble de l’écosystème. Je pense notamment aux données de santé qui peuvent circuler entre les hôpitaux, les pharmacies, les médecins personnels… bien souvent ces installations passent à côté de l’intérêt principal qu’elles devraient représenter ».
L’IA se présente donc comme un mouvement majeur actuellement en marche dont l’un des aboutissements est de transformer en profondeurs les métiers qu’elle touche.
Comment l’IA transforme les métiers ?
Sans entrer dans des débats sans fin portant sur l’avènement ou la conclusion de telle ou telle profession, les professionnels présents lors de l’AI France Summit ont plutôt exploré le champ des possibles en la matière. La France est en effet présente dans le concert des nations sur le sujet de l’intelligence artificielle et des transformations qu’elle emporte dans son sillage.
Présent lors de l’AI France Summit, Cédric Villani, député LREM et mathématicien, explique : « nous devons installer une grande ouverture avec le monde, avec des allers et retours et pour cela donner de bonnes conditions de travail et d’impact à ceux qui travaillent en France, et en particulier à nos chercheurs. Je pense qu’à l’avenir, nous construirons une société dans laquelle l’algorithmie fera partie de la valeur-ajoutée dans tous les domaines ».
Le sujet est partagé par les professionnels. Mustapha Derras, directeur exécutif R&D chez Berger-Levrault précise : « l’IA peut transformer de nombreux métiers car elle va s’attacher surtout à modifier des tâches répétitives. Certains processus sont déjà cartographiés et connus comme pouvant être améliorés. Après tout, quoi de plus robotisable que les fonctions de back-office ».
L’industrie en pleine transformation
Dans la droite ligne de ces transformations, figure également l’industrie. L’idée générale est de permettre au secteur de générer des gains de temps pour les salariés. Tout en alliant la création de leviers de croissance. Pour réaliser cet équilibre complexe, il faut être vigilant, estime Fabrice de Salaberry, COO de Sinequa : « on parle généralement beaucoup de données et peu de connaissance. Il faut être un expert de l’IA pour faire de l’IA. Il est nécessaire de disposer de gens de métier. Et de déterminer le meilleur moyen de les utiliser. »
Pour reprendre un terme cher à l’ensemble des personnes présentes lors de l’AI France Summit, résumant la pensée de chacun, l’intelligence artificielle semble ne pas être une affaire de spécialiste. Elle s’avère, au contraire l’affaire de tous.
Faire de l’IA une opportunité de croissance pour les entreprises en France
La France dispose donc des cartes pour faire de ses entreprises des leaders de l’intelligence artificielle. Pour ce faire, il faudra que le pays puisse former de nouvelles personnes à même de la pratiquer. Alain Assouline, PDG de WebForce3 met en lumière un point majeur : « Nous ne sommes pas encore capables de créer des filières de formation capables de placer des personnes compétentes pour les métiers du futur. La France a besoin de 50 000 développeurs par an. Mais nous ne pouvons, en ce qui nous concerne en former que 3 000 en 5 années ».
Un débat en cours à l’AI France Summit. Il est désormais admis que la formation doit être une question de tous les instants. Se former à tous les moments de sa carrière, un point qui n’est pas encore compris par tous, estime Eric Bothorel, député LREM. Il précise « c’est une question de culture, la France a une approche des choses en silos, en secteurs. Je demeure confiant. Nous sommes en train de changer de logiciel car nous mettons en évidence nos atouts pour faire fonctionner les choses ensemble ». De quoi provoquer de nouvelles vocations et nourrir les transformations technologiques en cours.
Olivier Robillart