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Freelances, portage salarial : les ESN s’adaptent au marché du travail

Les entreprises du numérique, en particulier les ESN, voient régulièrement une partie de leurs équipes les quitter pour travailler en autonomie. Ces freelances restent proches du secteur d’activité de leur ancien employeur. Aussi, des solutions existent pour conserver ces forces vives dans leur giron, notamment grâce à des solutions de portage salarial innovantes.

Il est admis que l’aptitude au changement fait partie intégrante de l’ADN des Entreprises de Services Numériques (ESN). De par leur activité, ces sociétés traversent les mutations engendrées par les mutations du marché du travail. A l’heure du travail hybride, de la constante attention portée au recrutement, elles font preuve d’une adaptabilité certaine.

Selon des chiffres avancés par Numeum dans le cadre de ses tendances et perspectives 2024 pour le secteur, 57 % des personnes qui quittent les ESN le font pour devenir freelances. Il s’agit de la motivation principale qui concerne le secteur. Au dernier pointage, ces freelances ne représentent toutefois que 8 % des forces vives de cette typologie d’entreprise. Un taux qui pourrait se stabiliser en fonction de la conjoncture économique faisant de facto revenir les travailleurs en interne.

Photo de Aaron Burden sur Unsplash Numeum TechTalks freelances

Le marché des ESN se trouve actuellement dans une situation paradoxale. Bien qu’il signe une croissance stable, de l’ordre de 4,1 % en 2023, il demeure soumis à plusieurs tensions majeures. La question des ressources est, à ce titre, la problématique qui revient en premier lieu. C’est pourquoi les entreprises du numérique ont régulièrement recours aux freelances.

Elles le font en premier lieu dans le but d’intégrer des compétences spécifiques à un projet donné, dans une logique de flexibilité ou dans l’idée d’acquérir des renforts immédiats. Et ce, dans un contexte dans lequel les ESN structurent leur approche dans une logique de partenariats avec les cabinets et autres acteurs du freelancing.

Côté freelances, les raisons de l’indépendance

Selon des chiffres avancés par Malt, près de 6 millions de travailleurs qualifiés se déclarent freelances en Europe, dont 1 million en France. Près de 60 % d’entre eux opèrent dans le secteur du numérique. Moins de 10 % sont en recherche active d’un CDI ou d’un moyen de réintégrer une entreprise. Parmi les motifs invoqués comme avantages de ce mode de travail figure, en dehors de la rémunération, l’indépendance et la flexibilité des horaires.

Toujours est-il que dans une majorité des cas (69 %), ces collaborateurs autonomes travaillent pour le compte de petites entreprises. Ils sont, en moyenne 17 % à travailler avec des ETI et 14 % en grande entreprise. Afin de réaliser leur activité, en moyenne, les freelances sont inscrits sur 3 à 4 plateformes.

L’entreprise de portage salarial : vers l’entreprise étendue

Face à cette tendance lourde, les ESN adaptent leur comportement. Le portage salarial connaît de plus en plus de succès dans la mesure où il limite les risques coté entreprise et laisse à la personne une certaine indépendance. En France, on compte environ 100 000 personnes opérant dans le numérique qui travaillent via des entreprises de portage salarial (EPS). Ces entreprises réalisent en moyenne un chiffre d’affaires oscillant autour de 4,5 millions d’euros.

Charles Mauclair, membre du Directoire de SII et Président du collège ESN & ICT de Numeum, explique : « Le marché du freelancing représente une tendance de fond depuis plusieurs années. Elle s’avère conforme aux évolutions du monde du travail vers plus d’indépendance et d’autonomie du travailleur. Ce mode est rendu d’autant plus pertinent grâce au développement des capacités de collaboration à distance. En somme, plusieurs facteurs concourent au développement de cette tendance. A savoir le besoin d’autonomie des nouvelles générations, le développement du travail à distance et l’avènement de plateformes d’aide à la gestion. » 

Mieux appréhender la gestion des freelances

Le responsable ajoute : « A cette tendance de fond, trois bémols sont effectivement visibles. Le phénomène est résolument lié aux cycles économiques. En période délicate, moins de personnes se risquent à quitter le salariat. Le freelancing apporte son lot de stress et demande de savoir se vendre correctement. Il faut également rappeler que nombre de projets numériques ne peuvent éclore que grâce à des aventures collectives. Les clients des ESN/ICT entendent travailler en toute confiance autour de projets captivants et structurants. Les travailleurs en interne viennent chercher des missions d’envergure et ambitieuses. Enfin, nos entreprises du numérique, quelles que soient leur taille, ont pour mission sociale d’intégrer les jeunes dans le milieu du travail et d’avoir un rôle de cohésion. Il s’agit, en somme, de faire travailler les individus vers un but collectif. »

Il est donc logique de voir des sociétés adopter une position dite « d’entreprise étendue ». Pour y parvenir, les ESN peuvent lancer leur propre EPS au moyen d’une structure séparée afin d’élargir leurs propres compétences. Un positionnement pertinent à condition toutefois de limiter la croissance du nombre de freelances dans le mix ressources des entreprises. Une typologie de solution en marque blanche qui permet aux ESN « de mieux appréhender la gestion de leur freelance et d’en récupérer une partie de la valeur. »

Un monde du travail en constante évolution

D’autant que le monde du travail a semble-t-il évolué. Preuve en est, l’évolution du nombre de ruptures conventionnelles signées chaque année. Elles sont passées de 395 151 en 2017 à 503 526 en 2022, selon le ministère du Travail. Mais, au cours du deuxième trimestre 2023, les ruptures conventionnelles étaient en recul de 2 % par rapport au trimestre précédent.        

Jérôme Tarting, président et fondateur de l’EPS Karburan, explique : « Il y a actuellement une remise en question par les entreprises du calcul du coût d’un freelance vs celui d’un CDI. Chaque entreprise doit tisser un lien social avec cette catégorie de population que sont les indépendants. Nous assistons donc à des changements dans les modes de fonctionnement traditionnels. »

Photo de Jess Bailey sur Unsplash intelligence générative propriété intellectuelle TechTalks Numeum

Dans ce cadre, Karburan propose un accompagnement autour d’une solution en mode SaaS. L’entreprise permet de mettre en place un système de portage salarial en marque blanche. Chaque ESN peut ainsi, en quelque sorte « internaliser » son processus de portage. Et ainsi conserver un lien privilégié avec des freelances.

Une nouvelle donne pour les ESN

Le responsable ajoute : « Nous assistons à une consolidation de marché en post-Covid avec une érosion des CDI au profit du freelancing. Le portage salarial permet de se lancer sans pour autant se lâcher des deux mains, en restant lié au régime général. Les ESN ont des besoins que ce soit via des gens en freelancing ou non. En somme, notre métier est d’être un opérateur de portage salarial en traitant un flux. Et ainsi d’apporter une expertise en termes d’industrialisation. Nous mettons à disposition des entreprises un engagement envers les administrations que l’ensemble du volet administratif sera réalisé dans les règles de l’art. Pour chaque porté qui le souhaite, on va sacraliser le salaire et l’excèdent va être arbitré entre dividende ou d’autres formes. »

La tendance est donc lourde. Arnaud Ribon, PDG de Golden Portage et membre du syndicat du portage salarial PEPS (entité qui regroupe 75% de la profession du portage salarial), explique : « Le nombre d’indépendants continue de croître tout comme le nombre de consultants indépendants dans le monde. Mais il y a également de plus en plus d’entreprises de portage salarial. Environ une entreprise de ce type se créée chaque semaine. Dans une vision prospective, nous anticipons l’avènement d’un secteur dans lequel les entreprises sont de plus en plus enclins à travailler avec des indépendants. Les clients sont même en recherche de ce type de collaborateurs lorsqu’elles ont des préoccupations spécifiques. La tendance s’est donc inversée par rapport à quelques années. Il y a de plus en plus de terrain pour les indépendants, c’est une nouvelle donne pour les ESN. »

Les plateformes pour freelances au centre de l’innovation

Au niveau mondial, le marché du freelancing est estimé à 160 milliards d’euros. Plus de la moitié est attribuable au seul secteur du numérique. Un marché qui demeure en croissance depuis plusieurs années, estime la plateforme Malt, spécialiste du freelancing en Europe de mise en relation de talents. Cette dernière met en relation des talents indépendants avec des entreprises. La marketplace confirme que l’une des grandes tendances de l’année porte sur les compétences relatives à l’intelligence artificielle, en particulier générative. Un terrain sur lequel les professionnels constatent une importante pénurie, mais également des besoins conséquents.

Reda Mahfoud, Directeur général France de Malt, explique : « Le Covid a représenté un fort accélérateur pour les freelances. Le nombre d’inscrits sur notre plateforme est de 12 000 nouveaux freelances en France chaque mois, contre 3 000 avant le Covid. A noter que la Tech et la data représentent 30 % de cette typologie de travailleurs. On constate à présent une pénurie dans le domaine de l’IA, de l’IAG ou de la data platform, data architecture. Dans ces domaines, le freelancing représente un mode parfait pour aller sur ces technologies de rupture. Mais depuis une année et demie, on constate une demande plus conséquente et plus précise des grands groupes. Au début, on parlait d’audits sur la mise en place de LLM mais les entreprises demandent à présent comment gagner 10 % de productivité, comment intégrer l’IA en mode agile. Les demandes se font plus fines et plus précises.« 

Vers des modèles « hybrides »

Le responsable ajoute : « Dans une réflexion plus prospective, nous croyons beaucoup en un modèle très hybride dans lequel la force d’une entreprise va être à la fois représentée dans un salariat classique (environ 60/70 % de leurs équipes) et dans une communauté d’indépendants qui vont apporter de la créativité, de l’inventivité mais également de la productivité tout en restant agile. Cette tendance est déjà à l’œuvre aux Etats-Unis. »

A terme, la tendance devrait donc se développer, à condition que le contexte économique général ne se dégrade pas. Au cœur de l’innovation, l’intelligence artificielle générative est très demandée par les entreprises. Quand bien même la discipline connaît un manque criant en termes de formation. Nombre de développeurs, ingénieurs ou collaborateurs du numérique s’auto-forment et développent de nouvelles capacités. Améliorant de fait leur employabilité.

Un mécanisme propre au travailleur indépendant qui, par essence, est habitué à se former et à rester au fait des nouvelles innovations afin d’être opérationnel sur les techniques novatrices. En ce sens, les indépendants représentent toujours les forces vives du numérique et créent ainsi de la valeur pour tous.

Olivier Robillart